La véritable histoire de la chocolatine (ou comment un accident de prononciation a provoqué une guerre civile en France)
Village de Perduomilieudnulpart, dans le Bordelais Glaireux, il y a quelques années.
C’était un jour qui ressemblait à tous les autres, peut être un mercredi après-midi car nombreuses étaient les mères de famille à accompagner leurs charmants bambins jusqu’à l’échoppe de Fanchon Dupain, l’accorte boulangère dont le décolleté plongeant provoquait des infarctus aux pensionnaires mâles de l’EHPAD voisin lorsqu’ils profitaient de quelques moments de sorties entre deux parties de scrabble.
Ce matin-là, le jeune informaticien qui avait jeté quelques semaines plus tôt son dévolu sur cette charmante bourgade pour y établir son logis et y travailler à distance grâce à la magie de la fée fibre optique, avait commis une erreur à priori sans autre conséquence que celles de lui meurtrir la langue : il avait en effet bu d’un seul trait le café qui venait de couler dans son mug à l’effigie de celui que le monde geek considérait comme le dieu de l’informatique moderne, Heretoc.
Sa langue enflée et douloureuse l’affublait pour la journée au moins d’un défaut de prononciation amusant, la moitié des mots disparaissant dans un chuintement comparable à celui que l’on fait lorsqu’on prend une pomme de terre chaude dans la bouche.
Sylvian Titan, puisque c’est le nom de notre malheureux héros, souffrait donc en silence, une larme brillant au coin de son œil, tout en suivant la rue Fabien Fournier qui allait le mener à la place Gaea où siégeait l’illustre boulangerie citée plus haut.
Tout à son désarroi, il se consolait en espérant que la belle Martine, la fille des boulangers, serait à la boutique pour servir les clients. Cette charmante demoiselle aux traits avenants avait pour mérites d’avoir l’âge de Sylvian, la poitrine de sa mère et un gout prononcé pour les jeux vidéos qui étaient l’une des passions du jeune homme. Lorsqu’elle l’avait vu pour la première fois avec son T-shirt Zelda, elle n’avait guère hésité à l’aborder et les deux avaient rapidement lié connaissance. Secrètement ils étaient tombés amoureux l’un de l’autre, mais leur timidité avait pour le moment pris le dessus…
Toutefois cette romance naissante n’est point le sujet de notre histoire, car alors que Sylvian pousse la porte d’entrée de la boulangerie, déclenchant le petit carillon et faisant tourner toutes les têtes vers lui, un drame terrible se prépare…
Le « Onhour » du jeune homme fit sourire l’assistance compatissante.
Sylvian n’eut d’yeux que pour la belle Martine qui finissait d’emballer les croissants de la mère Indoril, pilier de la communauté de Perduomilieudnulpart avec son accordéon qui rythmait les soirées à la taverne de Naheulbeuk (du nom de la tour en ruine située à l’orée du bled). Sa reprise du tube du film « La Boum », le slow Reality, avait été à l’origine de plus d’un couple dans le village…
Les gens avaient adopté rapidement le jeune homme « venu de la grande ville » et les plus jeunes lui vouaient une sincère admiration depuis qu’il avait organisé la première soirée jeu en réseau dans la salle des fêtes le mois dernier. Notamment le petit Kévin Rougechemise qui arrivé avec sa mamie peu après Sylvian dans la boulangerie admirait son idole de ses grands yeux innocents… Il se l’était promis : lui aussi plus tard serait un Titan !
Il est temps cher lecteur de mettre les âmes sensibles à l’abri, en effet les mots qui vont être prononcés sont ceux qui ont déclenché l’apocalypse…
Voyant son tour arriver et la charmante élue (secrètement) de son cœur se tournant vers lui pour lui demander : « bonjour Sylv’, qu’est-ce que je te sers ? », le garçon rougissant essaya tant bien que mal avec sa langue gonflée de répondre : « un pain au chocolat Martine »… ce qui donna à peu près : « un ain ô chocolat ‘tine »
Avec un sourire qui fit s’arrêter un instant le cœur de Sylvian de battre, la belle boulangère saisit une pince avec laquelle elle préleva la viennoiserie demandée tout en délicatesse et lui tendit le sachet en papier dans lequel elle avait glisser la gourmandise de pâte feuilletée beurrée enrobant une fine tablette de chocolat.
Une fois qu’il se fut acquitté du paiement de son achat, le jeune Sylvian quitta la boutique, non sans un dernier sourire à la jolie Martine, inconscient de sa responsabilité dans l’horreur qui allait suivre : en effet, le tour des Chemiserouge arriva et le petit Kévin du haut de ses sept ans réclama qu’on lui serve une « chocolatine ». Devant l’ignorance des grandes personnes, il laissa éclater sa colère et pesta contre Martine qui venait pourtant d’en servir à m’sieur Titan !
L’anecdote fit sourire le public de la boutique. On frotta des mains dans les cheveux en brosse du garnement en se moquant gentiment de lui et tout sembla s’apaiser… Mais il est certains termes qui contiennent en eux même une malédiction… car en effet, certains témoins, puis certaines personnes qui avaient eu vent de l’histoire par la rumeur qui, comme chacun le sait, fait plus de ravage que la vérité, se mirent à demander des chocolatines à la boulangerie pour déclencher le sourire complice des autres clients devant cette facétie d’enfant.
Le petit Kévin avait lui aussi joué les prosélytes et rapidement tous ses camarades d’école, pour se mettre à la page du « parler des gens de la ville », s’était mis à demander des « chocolatines » pour le gouter…
L’effet tache d’huile couplé à la fameuse loi de Murphy fit le reste, déchirant la France en deux camps irréconciliables autour d’une pauvre petite viennoiserie qui n’en demandait pas tant…
Maintenant vous connaissez la vérité véritablement vraie !Édité le 25 February 2020 - 17:02 par Arnaud75