[Level up] Le forum passe au niveau 6
dans Annonces officielles (18 réponses)
Publié par Valk, le 21 January 2020 - 22:53
Création de texte - Vos répliques favorites
dans Made in fan (11 réponses)
Publié par Heretoc, le 24 October 2019 - 18:12
[NÉOGICIA] Une teinte terne et métallique
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Je déduisis de ces propos qu’il s’agissait de la mère de Darren. Et qu’elle avait cherché à assassiner Keynn qu’elle tenait apparemment pour responsable de la disparition de son enfant. Je ne m’étais pas intéressé à la peine encourue pour tentative de régicide. Probablement la mort. Même si la personne ignorait qu’il s’agissait de son suzerain. – Je ne t’appartiens pas, déclara Darren. – Ne t’inquiète pas mon tout petit, continua la femme comme si Darren n’avait rien dit. Je te protégerai cette fois. Plus personne ne t’enlèvera à moi. Maman ne laissera plus personne te faire de mal. – J’avais besoin de toi avant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. – Non mon bébé… gémit la femme. Je vais te débarrasser du méchant monsieur, tu vas voir. – Tu ne lui feras pas de mal, décréta Darren. Rentre chez toi. – Oui, rentrons à la maison mon cœur, approuva la vieille folle. Darren ôta le poignard du mur. Il n’allait quand même pas tuer sa propre mère ?! – Darren, l’interpela Keynn en se levant. Visiblement, je n’étais pas la seule à craindre l’issue de cette entrevue. Keynn fit reculer Darren et, lorsque la femme se jeta sur lui, l’Empereur la maîtrisa physiquement, la plaquant au mur. Elle se mit à hurler. – Mon fils ! Rendez-moi mon enfant ! Je ne vous laisserais pas lui faire du mal ! C’est mon enfant ! Keynn la laissa s’égosiller, attendant qu’elle s’épuisât et qu’il ne resta plus entre ses mains qu’un corps secoué de pleurs. – Mon bébé, sanglota-t-elle. – Vous êtes la mère de Darren, reconnut Keynn. Et l’important pour une mère c’est le bonheur de son enfant, n’est-ce pas ? Qu’il soit en bonne santé et qu’il soit heureux. Elle acquiesça silencieusement. – Alors laissez-le partir, poursuivit Keynn. Elle commença à faire non de la tête. – Vous savez qu’il n’a plus sa place dans ce village, ajouta Keynn. Sa vie est ailleurs désormais. – C’est mon bébé… gémit-elle. – Et rien ne le changera jamais, affirma Keynn. Mais vous devez lui laisser faire ce choix. Vous savez désormais qu’il est toujours vivant et vous pouvez garder la certitude qu’il continue de vivre et qu’il est aimé et protégé. Matylda, pour le bien de Darren, ne l’obligez pas à rester. Rendez-lui sa liberté. Après quoi, Keynn la relâcha et recula lentement, probablement pour jauger sa réaction et prévenir tout éclat de violence. Il encouragea ensuite Darren à s’approcher de sa mère d’une main derrière le dos. La femme serra aussitôt son fils dans ses bras en pleurant à chaudes larmes. Même dans l’obscurité, je remarquai la raideur de Darren à ce contact ainsi que ses gestes mécaniques pour rendre un semblant d’étreinte. Après ce qui me parut une éternité de pleurs et de mots baragouinés, la femme relâcha finalement Darren et, gardant le contact le plus longtemps possible jusqu’au bout de ses doigts, elle partit. L’atmosphère oppressante se dissipant finalement, je pus de nouveau respirer. Jusqu’à ce que je notasse le couteau encore présent dans la main de Darren. Keynn invita Darren à se recoucher avec lui, offrant du réconfort à l’adolescent d’un bras protecteur et de mots chuchotés trop bas pour que je puisse les saisir. Ou alors Darren dormait avec Keynn en tant que protection rapprochée au cas où sa mère déciderait de revenir plus tard. Non. Là je devenais paranoïaque. Pour autant que je le susse, le reste de la nuit se déroula paisiblement. Je me réveillai comme la veille au bruit du village. Les autres étaient déjà réveillés. À part le mage. Quelqu’un avait-il vérifié qu’il était encore en vie au moins ? – Bonjour, salua Myrria un panier plein de victuailles au bras. Excellent timing. – Alors j’ai réfléchi pendant la nuit, commença-t-elle. – Et ? se méfia Darren. Vu l’idée que sa mère avait eu la nuit dernière, il y avait toutes les raisons du monde de se défier de ce que sa sœur avait concocté. Je notai d’ailleurs que, tandis que le griffon avait disparu, le couteau était toujours à portée de main de l’adolescent. – Je vais vous accompagner à Centralis et je me ferai injecter, annonça Myrria. Comme ça je deviendrai néogicienne et je pourrai rester avec Darren. N’est-ce pas ? Elle s’était tournée vers Keynn pour confirmation. – Darren n’a pas besoin de toi, il m’a moi maintenant, intervins-je. Le sourire de Myrria vacilla un instant. – Et je te remercie de t’occuper de lui, déclara-t-elle. Fayrrioh étouffa un rire. Je lui lançai un regard noir. – Myrria, je vais actuellement dans une école qui est un internat, expliqua Darren. Même si tu te fais injecter et viens à Centralis, nous ne vivrons pas ensemble. – Et il passe ses vacances avec moi, appuyai-je. – Et tu as ta vie ici, conclut Darren. Tu ne peux pas tout abandonner sur un coup de tête. – Bien sûr que si ! protesta-t-elle. Je peux… – Et Sthæno ? la coupa Darren. Elle rougit. – Comment tu… ? fit-elle embarrassée. – Ce n’est guère compliqué à deviner, répondit Darren posément. Vous allez bientôt vous marier. Elle hocha la tête. – Mais ce n’est pas grave, reprit-elle passionnée. Je peux… Je veux être là pour toi Darren. Sthæno comprendra. – Je n’ai pas besoin que tu t’occupes de moi, la contra Darren. Je sais prendre soin de moi et j’ai d’autres gens sur qui compter. Vis ta vie Myrria. La jeune femme hésita un instant, ouvrant et fermant la bouche sans pour autant réussir à commencer une phrase. – Quand tu partiras, finit-elle par dire, tu ne reviendras plus jamais ici ? – Ma présence ici n’est pas intentionnelle, répondit Darren. Je ne souhaitais pas y revenir et ma volonté à ce sujet n’a pas changé. – Je comprends. Puis elle décida que dans ce cas, elle passerait tout son temps avec son frère pour profiter de lui tant qu’elle le pouvait. Ce fut ainsi que Darren se trouva entraîné à l’extérieur, nous abandonnant lâchement au milieu du bétail. Un peu avant midi, Keynn décida de faire un tour dans le village et me proposa de l’accompagner. J’acceptai aussitôt. Je n’en pouvais plus de rester cloîtrer ainsi sans rien faire. Et en même temps je n’avais pas osé sortir seule dans ce lieu inconnu. Fayrrioh resta dans l’étable à reposer sa jambe et à veiller sur le mage. Je m’aperçus rapidement que cette balade était en réalité une opportunité d’apprendre. Pour moi comme pour Keynn. En effet, ce dernier se mêlait aux habitants, s’intéressait à ce qu’ils faisaient et à leurs conditions de vie. Les villageois ignoraient qu’ils hébergeaient leur Empereur, néanmoins leur Empereur ne les oubliait pas. Nous récupérâmes Darren pour le déjeuner et retournâmes auprès de Fayrrioh. Apparemment le teknögrade s’était ennuyé en notre absence. – Gamin, il y a un truc qui me travaille depuis un moment déjà, déclara Fayrrioh. Comment as-tu su pour l’attaque ? Pour que tu arrives à temps sur Keynn, vu la distance à parcourir, il a été nécessaire que tu partes avant même que cet archer ne décoche son tir. Même Keynn n’a rien vu venir et il était aux premières loges. – J’ai été prévenu, répondit évasivement Darren en jetant un coup d’œil interrogateur à Keynn. – Qu’est-ce que tu racontes, intervins-je. Nous étions en pleine discussion et tu t’es interrompu brutalement au milieu d’une phrase avant de détaler. – Tu étais au courant qu’il y allait avoir une attaque et tu n’as prévenu personne ? s’étonna le teknögrade. – Il t’a contacté en dehors de Centralis, fut le commentaire pensif de Keynn. Darren n’ajouta rien de plus, attendant visiblement l’aval de Keynn avant d’en dévoiler davantage. – Quoi ? Il faut que j’aille faire un tour dehors ? réalisai-je. Pour proche que je fusse de Keynn Lucans, je n’en avais pas pour autant l’habilitation d’un teknögrade de rang un. – Et puis si Darren est au courant, je peux bien l’être aussi, protestai-je dans un vain espoir. – Détrompe-toi, me corrigea Keynn. Risdam n’est pas au courant de l’affaire non plus. Un secret que même un teknögrade ne connaissait pas ? – Comme vous le savez, Darren est de naissance olydrienne et a donc reçu l’injection du sérum N01. Ce que vous savez moins, c’est que lors de certaines injections, nous avons commencé à relever le développement de certains dons psychique, commença à expliquer Keynn. – Des dons psychiques ? l’interrompis-je ne comprenant pas ces termes. – Des facultés développées par l’esprit, comme la possibilité de communiquer ou de déplacer des objets par la pensée, développa Keynn. – C’est incroyable… m’émerveillai-je. Et Darren peut faire ça ? – De ce dont nous avons pu apercevoir au fil des années, Darren est réceptif à la télépathie. C’est la possibilité de communiquer entre deux esprits. Et, à vrai dire, il n’a été en contact qu’avec une seule et même personne, mon père, Sirius Lucans. – Darren communique avec les morts ?! m’ébahis-je. – Un autre point important, ajouta Keynn, c’est que, contrairement à ce qui est connu du public, mon père n’est pas tout à fait mort. – Comment ça pas tout à fait mort ? fis-je ne comprenant pas. Keynn expliqua alors brièvement les travaux de son père sur le psychisme qui l’avait poussé à abandonner son enveloppe physique. – À vrai dire, j’avais perdu tout espoir de communiquer avec lui jusqu’à ce que Darren arrive, révéla Keynn. Malheureusement, ce n’est pas un processus très fluide et qui ne fonctionne que dans un seul sens. Darren ? – Sirius ne me parle pas véritablement, expliqua le concerné. C’est plutôt des impressions qu’il laisse, des impulsions que je suis libre de suivre ou de refuser. Pour l’attaque, il m’a envoyé un signal danger et stimulé une forte envie de plaquer Keynn au sol. Dans d’autres cas, il peut me guider, m’indiquer le chemin à suivre si je fais particulièrement attention. C’est un peu comme un sixième sens. Cependant, comme l’a dit Keynn, il n’y a rien de sûr et c’est très aléatoire. |
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– C’est quand même dingue… fis-je subjuguée. – Je rejoins Kiruna sur son avis, m’appuya Fayrrioh. – Je ne pensais pas que mon père avait une influence en-dehors de Centralis en revanche, commenta Keynn. Je me demande quelle est sa limite ? Darren fut encore avec sa sœur tout l’après-midi. De mon côté, je finis par oser me promener seule dans l’enceinte du village. Je ne le revis que vers le crépuscule, descendant d’un arbre. – Que faisais-tu dans l’arbre ? l’interrogeai-je surprise. – J’observais ce qui avait changé, répondit-il. – Dans l’arbre ? fis-je sceptique. – J’y passais beaucoup de temps, expliqua-t-il. – Dans l’arbre ? répétai-je. – Oui. Un garçon bizarre. Pas besoin d’autre explication. Surtout ne pas insister. – Pourquoi avoir dit à Myrria que je passais mes vacances avec toi ? m’interrogea à son tour Darren. – Parce qu’à partir de maintenant c’est le cas, affirmai-je. Tu vas venir vivre chez moi. – Je n’ai pas souvenir d’avoir accepté ni même entendu un tel plan, répondit Darren. – Et bien voilà, tu l’as entendu, fis-je. Sérieusement, tu ne vas pas refuser une telle proposition ? Je sais bien qu’on n’est pas toujours du même avis. Mais je ne vais pas te laisser tout seul et à la rue. Tu peux compter sur moi maintenant. – Je ne suis ni seul, ni à la rue, m’opposa Darren. Merci pour la proposition mais j’ai d’autres plans pour occuper mon temps hors périodes scolaires. – Quoi, tu vas aller avec ces cinquièmes années pour être leur bonniche ? m’exaspérai-je. – J’ignore pourquoi tu t’entêtes avec eux, répondit Darren. Ils ne sont pas tels que tu te les imagines. Mais non, ce n’est pas avec eux. – Oh, s’il-te-plait, ne me prends pas pour une idiote, sifflai-je. Je t’ai vu partir certains soirs avec eux, soi-disant pour boire un verre, mais bizarrement, tu ne revenais que plusieurs jours plus tard, manquant même des cours. En plus, quand tu revenais finalement, tu étais parfois encore amoché. Alors ne vient pas me dire qu’ils ne te font aucun mal. – L’événement et la conséquence que tu as observés ne sont pas liés, exposa Darren. – Cela ne peut pas continuer comme ça, m’énervai-je. Non seulement tu te fais molesté mais en plus cela mais en péril ton apprentissage. Je vais prévenir Keynn. – Il est déjà au courant, déclara Darren. – Et il ne fait rien ? fis-je pas le moins du monde convaincue. – Il n’a rien besoin de faire. À mon avis, Darren n’avait tout simplement rien dit. Cependant, je n’avais pas l’intention de lâcher l’affaire. Je ne savais pas ce que ces étudiants avaient contre Darren, mais je le protégerai même contre sa volonté. J’étais maintenant sa grande sœur après tout. Nous rentrâmes à l’étable pour constater que le mage s’était finalement réveillé. Il était affamé, assoiffé et courbaturé. Par ailleurs, Fayrrioh estimant que sa jambe était suffisamment guérie, Keynn décida d’un départ demain à l’aube. – Un griffon, chuchota le mage pour nous prévenir. – Ben oui. Et ? demandai-je. – T’inquiète pas Urgëll, c’est la bestiole du gamin, expliqua Fayrrioh. J’avais oublié qu’il n’était conscient que depuis peu et qu’il n’avait donc jamais eu l’occasion de rencontrer la créature. Cette dernière passa encore la nuit collée à Darren. À la place de l’adolescent, je me serais inquiété que le griffon roulât sur moi et m’écrasât dans mon sommeil. Surtout vu le poids, il y avait de quoi l’écrabouiller. Je me serais presque attendue à retrouver un Darren tout plat à mon réveil. Le lendemain, tous les blessés avaient suffisamment récupéré pour partir. Keynn n’avait plus de vertiges, Fayrrioh ne sentait plus qu’un léger tiraillement qui diminuerait sa vitesse mais ne l’empêcherait pas de se déplacer, et le mage était courbaturé mais surtout ne pouvait pas faire appel à la magie comme il le souhaitait. Je n’étais pas inquiète pour notre sécurité. Nous avions quand même un teknögrade de rang un dans notre groupe. Une protection largement suffisante pour les quelques dangers présentés par la faune locale. D’autant plus lorsque Darren et surtout son griffon, nous rejoignirent peu de temps après avoir quitté le village. En effet, Darren avait préféré s’éclipser avant l’aube. Pour ne pas avoir à faire ses adieux, je supposai. Le duo ne resta pas longtemps au sol. À peine le temps d’échanger quelques propos qu’ils s’étaient de nouveau envolés. Cela aurait été tellement plus rapide si nous avions tous eu des montures… Mais le village n’en possédait pas, et Darren n’était pas capable d’en attraper comme cela. – Dites, fit le mage, je ne sais pas vous mais moi je ne suis pas au mieux de ma forme. Ce ne serait pas plus prudent que Darren reste avec nous dans ces conditions ? Ils pouvaient bien le laisser s’amuser un peu quand même ! – T’inquiète pas, répondit Fayrrioh. De là-haut il peut voir les dangers en avance et assurer notre couverture aérienne. |
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Scène bonus #10 Après un dernier scan pour confirmer son identité, la porte du bureau de Keynn Lucans s’ouvrit devant Darren. C’était loin d’être la première visite du jeune homme en ce lieu de pouvoir et il n’accorda pas la moindre importance à la vue imprenable de Centralis visible par l’immense baie vitrée, ni au rayon de rosaphir qui s’élevait du sommet pour former le dôme protecteur de la capitale de l’Empire. Il n’était pas non plus surpris que son suzerain ne fût pas seul dans son office. En revanche, il se sentit quelque peu perplexe devant le comportement de la visiteuse dont il ignorait par ailleurs l’identité. Cette dernière était une jeune fille de seize ou dix-sept ans, habillée, maquillée et coiffée avec une élégance irréelle qui ne pouvait néanmoins rattraper son attitude boudeuse et capricieuse qui lui donnait dix ans de moins. Elle était clairement en train de piquer une crise. L’adolescente cessa aussitôt sa représentation théâtrale en constatant l’arrivée d’un nouveau spectateur. – Darren, se réjouit Keynn qui affichait précédemment un simple sourire indulgent. – Qui c’est ? exigea la jeune fille d’un sifflement entre les dents. Elle lançait un regard mauvais en direction de Darren qui avait du mal à comprendre cette hostilité et affichait soigneusement un visage neutre. – Kiruna, je te présente Darren, expliqua Keynn. Comme toi, il a malheureusement perdu ses parents. Darren nota avec attention la formulation de Keynn qui laissait entrevoir que la similitude ne comprenait pas un entraînement spécial et un rang de teknögrade du côté de la jeune fille. Et qu’elle ne devait pas être au courant de la position de Darren. – Qu’est-ce qu’il fait là ? cracha Kiruna. – Allons, ce n’est pas la peine d’être aussi agressive, tenta de l’adoucir Keynn. Comme vous êtes tous les deux dans un cas particulier, j’ai pensé que vous pourriez apprendre à vous connaître et vous rapprocher. – Quoi ? lâcha Kiruna comme si on lui apprenait que son flamilynx était mort. Même Darren eut une fugace expression sceptique devant la proposition de Keynn. – Je n’étais pas venu pour ça, annonça le jeune homme à tout hasard. – Je m’en doute bien Darren, lui assura Keynn sans se départir de son sourire. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de vous présenter l’un à l’autre. Il serait bien dommage de ne pas profiter de cette opportunité puisque vous voici tous les deux réunis dans mon bureau à cet instant. – Que voulez-vous que je fasse de ça ? demanda la jeune fille avec dégoût. – Kiruna, essaie d’être gentille avec Darren, intervint Keynn. Il faut juste que vous appreniez à vous connaître. – Mais vous en avez d’autres des enfants qui sortent de nulle part comme lui ? s’offensa Kiruna. Je pensais que j’étais la seule, moi. – Actuellement, Darren et toi êtes les seuls mineurs avec qui j’interagis régulièrement, déclara Keynn. Et j’aimerais bien que vous vous entendiez. – Ce n’est encore qu’un bébé, protesta Kiruna. Vous n’êtes pas sérieux ? – Darren, je vois à ton visage que quelque chose te perturbe, s’intéressa Keynn au jeune homme qui ne s’était pas encore exprimé sur le sujet. – Je suis juste perplexe que tu la laisses te manquer ainsi de respect, expliqua Darren. – Quel culot ! répliqua Kiruna. Alors que tu oses tutoyer notre Empereur ! – Elle est encore jeune, cela lui passera, l’excusa Keynn. – Keynn, je suis plus jeune qu’elle, lui rappela Darren. La porte du bureau s’ouvrit à nouveau, ôtant au suzerain la lourde tâche de répondre. Darren n’était pas dupe. Il savait que Keynn avait calculé et dirigé le timing de la fin de la conversation pour correspondre à l’arrivée du nouveau visiteur dont la présence lui avait été informée sur sa visière bien avant qu’il n’ait mis un pied à l’étage. – Monsieur Lucans, salua le dernier arrivé. Salut gamin. – Bonjour Gretz, répondirent les deux hommes. – Darren, peux-tu raccompagner Kiruna s’il-te-plaît ? sollicita Keynn. – À tes ordres, répondit automatiquement le jeune homme avant de procéder à l’analyse de la demande. – Nous dînerons tous les trois ensemble ce soir, décréta Keynn. – Quoi ?! lâcha Kiruna tandis que Darren se raidissait imperceptiblement. Dîner avec… lui. Un rire amusé sortit de la gorge de Gretz en apprenant la nouvelle. – Et bien ça promet pour ce soir… se divertit le teknögrade. T’inquiète pas gamin. Il reste encore quelques heures avant le repas. Largement de quoi trouver une crise à gérer pour que ce soit annulé. Et sinon, tu peux toujours venir dîner chez moi. – Comme tu voudras Keynn, répondit Darren même si cette idée le laissait toujours sceptique. Puis il sortit accompagné de Kiruna qui se répandait en jérémiades sans pour autant protester, comprenant qu’elle était congédiée et que le dîner était obligatoire. Elle était capricieuse, pas stupide. Elle connaissait les limites à ne pas franchir. – Je te préviens, je ne te laisserai pas me faire de l’ombre, déclara Kiruna dans l’ascenseur. Sa préférée c’est moi. – Je ne pense pas que Keynn nous garde dans son entourage pour les mêmes raisons, énonça paisiblement Darren. – Si tu crois que je ne te vois pas venir avec ton air de smourbiff des prés ! – Je ne connais pas cette expression, avoua Darren. – Oh ! Mais tu sais très bien ce que je veux dire ! s’exaspéra Kiruna. – Ce que j’ai compris, c’est que tu n’apprécies pas mon existence et tout ce qui en découle. – Exactement ! approuva Kiruna. Tu aurais mieux fait de ne jamais exister ! Si tu disparaissais, tu ne manquerais à personne ! – Tu as raison, accepta Darren. – Évidemment que j’ai rai… Hein ?! – Kiruna te voilà enfin, où étais-tu passée ? demanda une femme. Je me suis inquiétée. Tu ne répondais même pas à mes messages. – Désolée Tatie, s’excusa Kiruna pour la forme. J’étais avec… La jeune fille se retourna mais il ne restait plus une trace de Darren. Se remémorant en boucle leurs derniers échanges, Kiruna ne put s’empêcher de s’inquiéter. L’après-midi passa beaucoup trop lentement au goût de la jeune fille qui se rongeait les sangs. Elle envoya même un message à Keynn pour savoir si Darren avait un réceptron et si elle pouvait avoir son identifiant. Elle n’obtint aucune réponse. Quelques minutes plus tard, de plus en plus angoissée, elle envoya un second message indiquant sa crainte que Darren ne fît une grosse bêtise. Cette fois-ci, Keynn lui répondit de ne pas s’en faire pour Darren. Kiruna dut donc prendre son mal en patience et attendit avec inquiétude le repas du soir. Elle se présenta d’ailleurs en avance au dernier étage de l’Œil. – Kiruna, ce n’est pas souvent que tu es en avance, se réjouit Keynn en la recevant. La table était déjà dressée et des mets s’empilaient en son centre. – Darren n’est pas encore là ? s’inquiéta plutôt la jeune fille. – Non, mais il ne devrait pas tarder, l’informa Keynn. C’est vrai que tu m’as envoyé deux messages à son sujet cette après-midi. Inutile de t’en alarmer ainsi, tu as probablement mal interprété les paroles de Darren. Ah, le voici justement. – Bonsoir Keynn, Kiruna, salua le susnommé. – Et bien te voilà ! s’énerva Kiruna. – Je ne suis pas en retard, souligna Darren pris de court par la furie de la jeune fille. – J’ai crû que tu étais mort à cause de moi ! – Pardon ? fut la réaction simultanée de Darren et Keynn. – Tu as dit que tu allais te suicider ! poursuivit Kiruna. – À quel moment ? demanda Darren tandis que la tête de Keynn pivotait vers lui avec effroi. – Quand tu disais que tu aurais mieux fait de ne jamais exister ! révéla Kiruna. – C’est ce que toi tu as dit, la contredit calmement Darren. – Bien, puisque le malentendu est dissipé, passons donc à table, intervint Keynn. Ce dernier n’en jeta pas moins un long regard scrutateur à Darren promettant une discussion sur le sujet en tête-à-tête. – Je ne suis pas suicidaire, se crût obliger de souligner Darren. – J’espère bien, fit Keynn avant de laisser tomber le sujet et de s’enquérir de la journée de Kiruna. |
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Cette dernière n’eut aucunement besoin d’être persuadée à converser. Remarquant rapidement que ce n’était pas le cas de Darren, elle en profita pleinement pour accaparer l’attention. Keynn essaya d’attirer Darren dans la discussion à plusieurs reprises mais le jeune homme n’avait pas matière sur les sujets mondains en général et ce qui pouvait susciter l’intérêt d’une adolescente en particulier. Il aurait plus volontiers parlé de la guerre contre la Coalition, de la politique interne de l’Empire ou encore du dernier complot déjoué. Cependant, cela aurait probablement rapidement atteint au secret-défense auquel Kiruna était soumise et aurait totalement ennuyé cette dernière. Darren nota d’ailleurs qu’elle parlait soit d’elle-même de manière extrêmement positive, soit elle envoyait des piques dans sa direction. Il jugeait somme toute qu’aucune interaction de sa part n’était nécessaire et ne l’écoutait que distraitement tout en dînant. – … Des crépinettes de pieds de cochoboule ! se réjouissait présentement Kiruna. Mon plat préféré ! Vous êtes si attentionné… Keynn avait en effet choisi les mets de ce dîner en fonction des préférences de la jeune fille afin d’encourager une bonne ambiance. Il en aurait bien fait de même avec Darren mais le jeune homme exprimait rarement ses goûts et, en matière culinaire, il se satisfaisait de pouvoir manger à sa faim. Cela était principalement dû aux premières années de sa vie d’Olydrien où son village natal avait connu deux années de disette à la suite. – … En même temps, si nos parents ne s’étaient pas stupidement fait tués… L’assiette de Darren vola et finit sa course contre le visage de Kiruna. Cette dernière hurla, mélange de surprise, de dégoût et de colère. Darren était debout, le poing fermement serré sur son couteau qu’il se fît violence pour déposer sur la table et non lui faire emprunter la même trajectoire que son assiette. Il quitta définitivement sa place et marcha à grandes enjambées vers la sortie. – Darren ! héla Keynn en ignorant la jeune fille hystérique. L’Empereur eut tôt fait de le rejoindre, d’autant que le jeune homme, discipliné, s’était arrêté à l’appellation de son nom par son suzerain. – Je viens de me souvenir que Gretz m’a invité à dîner, déclara calmement Darren. – Darren, fit Keynn plus doucement. Kiruna ne sait pas de quoi elle parle. Ni pour ses parents, ni pour Werven. – Je m’excuse pour le désordre. Je pense qu’il vaut mieux ne plus nous inviter tous les deux en même temps, énonça Darren. Cette fois, Keynn le laissa partir et retourna se préoccuper de Kiruna. La porte se referma derrière Darren. L’adolescent songea un instant à couper court à la soirée et rentrer chez lui. Après réflexion, le jeune homme supposa que ce n’était pas forcément une bonne idée de se retrouver seul dans l’appartement qui ne ferait que lui rappeler l’absence de son mentor. Ses pas le menèrent finalement chez Gretz qui lui ouvrit aussitôt. – Ça s’est si mal passé que ça ? s’enquit l’adulte. – Je lui ai lancé mon assiette à la figure, révéla Darren d’une voix neutre. Une expression d’étonnement traversa fugacement le visage de Gretz, cependant, ce dernier choisit de ne pas commenter. – J’étais sur le point de dîner, tu te joins à moi ? demanda Gretz. Darren acquiesça et Gretz reprit la préparation du repas en augmentant les quantités. Darren s’activa, apportant son aide avec une aisance conférée par l’habitude. Ce ne fut que lorsque les deux teknögrades s’installèrent à table que Gretz commença doucement à interroger Darren : – Donc après avoir ruiné ton repas, tu as décidé de te joindre à moi. – Je n’avais pas envie d’être seul, révéla Darren. – C’est plutôt Berkmeër que tu aurais dû aller voir dans ce cas, commenta Gretz. Il a toujours une joie de vivre qui est contagieuse. Je ne peux pas me targuer d’avoir cette qualité-ci. – Mais tu sais cuisiner, contra Darren. – Pas faux, s’amusa l’homme. – Et je n’avais pas envie de voir la vie en rose mais plutôt de manière objective, ajouta Darren. Ce n’était pas que Berkmeër était détaché de la réalité, mais il avait tendance à voir constamment le côté positif de n’importe quelle situation. Gretz attendit patiemment que Darren trouvât ses mots. – Je ne comprends pas comment Keynn peut accepter un tel comportement, lâcha finalement Darren. Dans le fond, cette incompréhension était ce qui lui tenait le plus à cœur. – Est-ce que tu sais qui est Kiruna ? lui demanda Gretz en retour. – Non, répondit Darren. Je sais qu’elle est orpheline. Et entre les sous-entendus de Keynn et ce qu’elle a révélé, je pense que ses parents étaient teknögrades de rang un. – Correct, approuva Gretz. Son père est décédé juste avant sa naissance, se sacrifiant pour Keynn personnellement. Sa mère était également teknögrade, cependant ce n’est pas en service qu’elle est décédée mais en la mettant au monde. La médecine a beau progresser, il y a des malheurs que nous ne pouvons éviter. – Donc Keynn se sent coupable et redevable envers Kiruna, déduisit Darren. Je ne comprends toujours pas pourquoi il accepte un tel comportement de sa part. – C’est un privilège qu’il lui accorde, concéda Gretz. Ses fonctions ne lui permettent pas de la voir souvent, alors il a tendance à un peu tout lui passer. Mais tu es mal placé pour faire ce genre de remarques. – Comment ça ? s’enquit Darren intrigué. – Keynn te favorise également. – Je ne… – Gamin, tu es le seul qui le tutoie. Preuve numéro une. – C’est lui qui me l’a demandé. Au début, je l’ai tutoyé parce que je ne savais pas autrement. Quand je l’ai vouvoyé par la suite, il m’a dit que je pouvais continuer de le tutoyer. – Ça n’en demeure pas moins un passe-droit. Darren ne semblait pas entièrement convaincu. – Tu pourrais lui demander n’importe quoi, je suis sûr qu’il te l’accorderait, ajouta Gretz. – Pourquoi je lui demanderais n’importe quoi ? s’étonna Darren. En réponse Gretz lui ébouriffa les cheveux. – C’est vrai que ce n’est pas ton genre, commenta l’adulte. – Ce n’est pas dangereux de pouvoir demander ce que l’on veut ? demanda Darren. – Entre Nox qui est le numéro deux de notre faction et le bien-être de l’Empire, que choisirait Keynn ? – L’Empire, répondit Darren sans hésiter. – Tu as ta réponse. Et Kiruna le sait également. Ne t’inquiète pas que sous ses airs capricieux, elle est parfaitement consciente des limites, certes lointaines. S’il y a bien une chose dont Keynn s’est assuré, c’est qu’elle ait pleinement conscience des risques associés à cette proximité avec lui et des devoirs qui lui incombent. Tu n’entendras jamais Kiruna dire à qui que ce soit qu’elle connaît personnellement l’Empereur. – Je fais confiance à Keynn, déclara ultimement Darren. |
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Mission #11 – Protecteurs L’air était sec et immobile, ce qui n’aidait en rien ma respiration haletante. Une armure formait une excellente protection, cependant elle était si lourde à porter ! Je devais vraiment investir dans une monture. Dès que j’aurais des crédits. Ce qui n’était pas gagné. J’avais déjà eu la chance de pouvoir récupérer l’armure de mon grand-père et de pouvoir la faire modifier par un ami forgeron en échange de quelques sourires et d’un baiser sur la joue. Idem pour ma hache de combat. Être aventurière n’était pas une carrière économique. J’avais grandi avec les récits de mon grand-père et avais décidé de suivre sa voie. Les débuts étaient difficiles, ce qu’il m’avait caché. Il avait dû choisir de me raconter ses plus beaux exploits et ses aventures les plus palpitantes. Ce que je comprenais tout à fait. Si un jour j’avais une descendance, je ne leur narrerai pas mes débuts pénibles et piétons. J’aurais quand même apprécié que mon grand-père fût encore de ce monde pour m’entraîner et me préparer. À la place de son expérience, j’avais sa vieille armure, sa vieille hache et mon intelligence. Cela devrait être suffisant pour les mois à venir. Je m’étais rapidement aperçu que je n’irai pas bien loin seule avec mon manque d’expérience. Des compagnons étaient donc nécessaires. J’en avais d’ailleurs besoin dans l’immédiat, étant tombée sur une situation trop complexe pour mon niveau. De plus, si je voulais lancer ma carrière d’aventurière sur de bonnes bases, je devais faire vite, ces villageois ayant urgemment besoin d’aide. Mais c’était à croire qu’il n’y avait pas un smourbiff dans la région ! Alors que j’arrivais à un col, je me fis brusquement percuter au niveau du torse, m’envoyant m’aplatir sur le dos avec violence et préjudice dans un crissement métallique. L’air quitta brusquement mes poumons tandis que le choc manquait de m’assommer, le son résonnant étrangement dans mon heaume. – Holà ! entendis-je au loin. Que s’était-il passé ? – Vous êtes blessée ? s’enquit-on soudainement juste à côté de moi. – J’crois pas, fis-je incertaine. Mon armure semblait avoir rempli son office. – Euh… réalisai-je. J’étais par contre incapable de me relever par mes propres moyens. – Je suis coincée, avouai-je embarrassée. L’inconnu, qui je le voyais maintenant était un jeune homme au visage plaisant surmonté d’une tignasse noire, me prit sous les aisselles et me redressa en position assise comme si mon armure ne pesait rien. La tête me tourna un peu. Il m’offrit sa gourde que j’acceptai avec grâce – du moins, j’espérais que ce fût avec grâce, je me sentais plutôt l’âme d’un burblobe renversé, ce qui n’avait rien d’élégant et versait plutôt dans le pathétique. – Euh… Merci, balbutiai-je. Il était vêtu d’un manteau gris de bonne facture, de solides mais raffinées broderies bordeaux y ajoutant une sympathique touche de couleur. Le reste de sa tenue était noire, de son armure de cuir souple à ses bottes en passant par son pantalon sculptant ses jambes musclées, sans oublier ses gantelets. Deux lames courtes étaient rangées de chaque côté de sa taille. Il me faisait penser à ces nouveaux princes charmants dangereux et ténébreux pour lesquels je n’avais jamais compris l’engouement de mes consœurs. À présent que l’un d’eux était face à moi… et bien je n’avais toujours pas envie de me faire séquestrer. – Je vous présente mes excuses pour la collision, déclara-t-il. – Je… euh… ça va, répondis-je avec éloquence. Il s’est passé quoi ? – Deux choses, s’éleva une nouvelle voix chaude et masculine. Nous ne vous avons pas vue et nous sommes encore en train d’essayer de dresser ce tovinga. Je me tournai vers cette nouvelle source de bruit et découvris avec stupeur un reptile aux écailles blanches se tenant sur deux puissantes pattes arrière tandis que ses deux membres antérieurs étaient plus courts mais tout aussi munis de deux grandes griffes tranchantes. Son cou court et musculeux supportait une tête massive surmontée d’une longue corne très pointue suivie d’une crête. – C’est ça un tovinga, murmurai-je admirative. – Un tovinga glacial, me confirma la seconde voix. Extrêmement rare. Habituellement, ces créatures préfèrent les zones chaudes. Mon regard s’éleva jusqu’au cavalier qui montait avec assurance cette bête féroce. Il possédait le même manteau que le prince des ténèbres cependant le reste de sa tenue était plutôt dans des teintes de bruns et de bleu outremer. Il ne semblait porter qu’une seule épée, plus longue et plus large que celles de son compagnon. Au contraire de ce dernier, ses cheveux étaient blonds, son sourire solaire et, je ne pouvais l’affirmer avec certitude d’aussi loin, mais ses iris avaient une teinte cuivrée. C’était le prince des contes classiques. – Euh… Je… Très compréhensible ! Je me donnerai bien une bonne gifle pour me remettre les idées en place. Pourquoi étais-je là déjà ? Ah oui… Ce que je pouvais être cruche parfois… – J’ai besoin de votre aide, braves guerriers. – Que s’est-il passé ? s’enquit aussitôt le brun. Bien joué ma fille, m’auto-congratulai-je. – C’est l’Empire ! déclarai-je. Le blond se raidit, ce que je n’aurais jamais remarqué si son geste n’avait pas rendu le tovinga suffisamment nerveux pour s’agiter quelque peu. – Que s’est-il passé ? réitéra le prince des ténèbres me fixant de la profondeur de ses yeux gris. Était-il un dévoreur d’âmes ? Même si ses iris indiquaient une prédilection pour le flux de l’air, il pouvait très bien préférer celui des âmes. – Ils ont pillé un village et enlevé les femmes, énonçai-je succinctement. – Allons-y, décréta-t-il. Décidément j’avais eu de la chance avec ces deux-là, ils acceptaient mes propos sans même me questionner. – Je suis arrivée après et je n’ai pu que constater, plaidai-je. Ils m’ont dit qu’ils étaient une trentaine, alors je me suis dit que toute seule je ne pourrais pas faire grand-chose. Alors je suis partie chercher de l’aide. J’étais consciente que je n’avais malheureusement pas le corps d’une femme fatale avec mon visage un peu rond et mes formes un peu plates, sans compter ma taille de farcitin, il m’était néanmoins aisé de jouer sur le côté jeune fille mignonne en détresse. Ce qui semblait fonctionner parfaitement sur ces deux preux chevaliers. – Vous avez eu la bonne réaction, me félicita-t-il et je luttai pour contenir un sourire victorieux. Je vais vous aider à monter derrière Rick, vous pourrez nous indiquer le chemin. À peine eussé-je le temps d’hocher la tête en signe d’assentiment qu’il me guidait à côté de la monture et me souleva par les hanches pour me déposer sur le tovinga, comme si mon armure et mon équipement ne pesaient rien. J’étais définitivement jalouse de sa force. – Je suis Darren, se présenta-t-il. Rick et Darren. Je me demandai si je voyagerai assise entre les deux, serrée par des bras musculeux. Malheureusement, je voyais mal ce tovinga accueillir une personne supplémentaire. – Litzie, offris-je à mon tour. Les deux hommes murmurèrent ensuite quelques mots de magie venant s’enrouler autour de Darren, puis le tovinga démarra sous une impulsion de Rick et je dus m’accrocher à lui pour ne pas basculer en arrière. Non seulement cela aurait été pitoyable, mais en plus cela aurait certainement été douloureux. La créature avalait la distance avec ses grandes foulées. Un œil sur ma droite me permettait de constater que Darren se maintenait à nos côtés sans effort apparent. – C’était quoi comme sort ? ouvris-je la discussion, élevant la voix pour me faire entendre malgré la vitesse qui bourdonnait à mes tempes. – Un sortilège de vitesse et un d’endurance, me répondit Rick. – Oh, fis-je. Et cela demande beaucoup de mana pour que vous soyez deux à lancer le sort ? Je n’y connaissais rien en magie de renforcement. Ma pratique à moi avait généralement un effet plus direct sur mes adversaires. Peut-être devrais-je m’intéresser davantage aux possibilités qu’offraient les sorts de soutien. Cependant, pour que cela fût vraiment efficace, il me faudrait un partenaire qui pût soit me renforcer, soit faire plus de dégâts que moi et que je fusse celle qui le soutînt. – Non, me répondit Rick. C’est juste que le sort de vitesse fait appel au flux de l’air tandis que celui d’endurance fait appel à celui de la terre. – Et ? Je ne voyais pas en quoi cela posait problème d’utiliser l’un puis l’autre. – Darren est nul pour l’utilisation des flux qui ne sont pas celui de l’air, rit-il. |
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– Oh. J’essaye de me concentrer sur celui de la terre, révélai-je. Même si je préfère celui du feu et que j’ai une affinité pour l’eau… – Toutes les combinaisons sont possibles, m’offrit Rick. Une prédisposition pour un flux n’exclut pas la maîtrise d’un autre. J’ai connu un prétendant à la maîtrise de l’air qui avait des iris améthyste. Son talent naturel pour l’utilisation des flux ainsi que son travail rigoureux et acharné lui ont permis de faire jeu égal avec ceux qui possédaient des iris gris. Il était même probablement plus en avance qu’eux, ne se reposant pas sur de supposées facilités. – Je ne crois pas que je serais jamais prétendante à la maîtrise de quel que flux que ce soit, commentai-je en fronçant les sourcils. – Ce n’est pas un problème en soit, me rassura-t-il. Je n’avais jamais été très douée pour la magie, tout comme mon grand-père avant moi. Il avait tracé son chemin par la force brute. Talent que je ne possédais pas. Qui semblait cependant se développer plus facilement chez moi que la magie. Le problème que cela soulevait était le développement important des muscles que cela provoquait. Ce qui signifiait que non seulement je ne développerai jamais les courbes qui font abjectement baver les hommes mais qu’en plus je perdrai mon avantage mignonnerie. Argh ! Pourquoi n’étais-je pas née avec des prédispositions pour la magie plutôt que le physique ?! Bon, autant en profiter tant que cela durerait. Et trouver des compagnons que je pourrais facilement utiliser. Mieux valait donc ne pas laisser passer cette opportunité qui commençait fort bien. – Euh… Ce n’est pas que je doute de votre talent ou quoi, hein, mais on n’est pas un peu en sous-effectif pour affronter trente brigands ? C’était à la fois de la minauderie et une assurance pour ma survie. Je cherchais des cervelles de frapatross, mais pas trop quand même. – Si ce ne sont que des pilleurs, profitant de la faiblesse de villages sans défense, ce qui est fort probable, Darren et moi n’aurons aucun souci pour les éliminer. – Et dans le cas contraire ? ne pus-je m’empêcher de m’inquiéter sérieusement. – Darren trouvera quelque chose, répondit-il mi-figue mi-raisin. – Oh… C’était un abruti ce type ou quoi ? S’il y avait un problème c’était l’autre qui trouverait une solution ? Quel était ce raisonnement complètement stupide ?! D’un côté cela m’assurait que je pourrais facilement le tenir en mains, de l’autre, je craignais pour mon espérance de vie. Bon, cela ne servait à rien de baisser les bras aussi tôt. – Comment s’appelle-t-il ? m’enquerrai-je donc soudainement, voulant relancer la conversation. – De qui ? fit Rick pris au dépourvu. – Ce tovinga, précisai-je alors. S’ils avaient une monture, ils devaient au moins être riches à défaut d’être doués. Je pouvais toujours tirer parti de quelques crédits. – Il n’a pas encore de nom, m’informa Rick. Ou est-ce une femelle… ? – Vous ne savez même pas ce que vous avez acheté ? m’étonnai-je. – Ce tovinga nous a attaqués la nuit dernière, déclara Rick. On a plus ou moins réussi à le capturer et on a plus ou moins réussi à le dompter. Il y a encore du boulot mais pour une matinée de dressage je trouve qu’on ne s’en sort pas si mal. J’étais complètement abasourdie par une telle révélation. Sentence à inverser donc, ils étaient doués, mais pas forcément riches. – Un tovinga sauvage ? Une matinée de dressage ? Je suis surprise que vous arriviez à le monter tout court. Je m’attends plutôt à ce qu’il nous jette à terre d’un moment à l’autre. Je resserrai ma prise sur Rick. Pour toute réponse, le prince de lumière se mit à rire. – Pour ce qui est du nom, on a qu’à l’appeler Tovy, hein Darren ? proposa Rick en haussant la voix. – J’avais trois ans ! lui rétorqua Darren. – Il avait un tovinga à trois ans ? m’étonnai-je devant l’absurdité de tels propos. – Non, un griffon qu’il a appelé Griff, m’informa Rick. Était-ce vraiment mieux ? – Je me demande pourquoi je t’ai raconté cette histoire, fit Darren sans animosité. Je manquai l’opportunité de m’enquérir d’un éventuel recrutement lorsque nous atteignîmes le village où une nouvelle altercation semblait avoir lieu et nous fit oublier notre conversation. Les protagonistes s’arrêtèrent cependant devant l’arrivée du puissant tovinga en ce lieu modeste. – Euh… J’ai trouvé de l’aide, coupai-je à travers le silence pesant. – Tu peux retourner jouer avec tes poupées fillette, déclara l’un des inconnus. Les foudres d’Ark’hen ont la situation en main. – Les foudres d’Ark’hen ? fit Rick avec dérision. Où êtes-vous allés chercher un nom aussi ridicule ? Faut avoir un sacré culot pour utiliser le nom de la Source de la mort comme ça. – J’te permets pas de critiquer. C’est un nom mérité. De toute façon vous vous appeler comment d’abord ? Les pleutres miséreux ? – Nous sommes les mercenaires d’Alcor, se présenta calmement Darren. À sa place, je me serais énervée. Je n’étais d’ailleurs pas à sa place, mais je sentais mon sang bouillir dans mes veines. – Jamais entendu parler, firent les autres avec moqueries. – Il est évident que les foudres d’Ark’hen ont une réputation qui dépasse les patelins du coin, railla Rick. – Cette jeune fille a indiqué que ce village requérait une aide immédiate, coupa Darren en s’adressant aux villageois. Est-ce toujours le cas ? Quand il utilisait « jeune fille » j’avais l’impression d’entendre « princesse »… Puis le poids et l’inconfort de mon armure se rappelaient à moi. – T’as pas écouté cervelle de frapatross ? Les foudres d’Ark’hen se chargent de tout. – Contre deux cent mille crédits ! s’outra un villageois. Que vous demandez en avance ! – Ce n’est pas comme si vous aviez le choix, se gaussa l’un des nouveaux mercenaires. Du coin de l’œil, j’aperçus Darren faire un petit geste de la main. Rick se mit aussitôt à murmurer. Proche de lui comme je l’étais, je n’eus aucun mal à ressentir le mana qu’il captait aux alentours. Lorsqu’il déchaina la puissance qu’il avait accumulé, un glyphe doré se dessina sous les pieds des foudres d’Ark’hen. – Ah ! Qu’est-ce que c’est ?! hurlèrent-ils de terreur. Leurs genoux ployèrent sans qu’ils pussent y opposer la moindre résistance. Puis ils tombèrent à quatre pattes. Enfin, ils girent à plat ventre. Le glyphe se modifia, prit une couleur améthyste, et des mains sortirent de terre, agrippant sans ménagement les victimes avant de les attirer dans les profondeurs. Quand tout fut fini, il restait à peine leur tête à la surface. – D’autres remarques ? fit Rick. Personne ne pipa mot. Je devais absolument intégrer leur groupe ! C’était la réussite facile assurée ! – Vers où sont-ils partis ? Depuis quand ? Combien étaient-ils ? Comment étaient-ils armés ? Qui ont-ils enlevés ? interrogea calmement Darren nullement mû par la démonstration de force de son compagnon d’armes. – Euh… Je… balbutia le chef du village avant de se ressaisir. Ils étaient une centaine, armés jusqu’aux dents. Je fronçai les sourcils, ce n’était pas ce qu’il m’avait dit. – Ils sont partis par-là, poursuivit-il en indiquant une direction du doigt. C’était il y a plus de trois heures, mais ils étaient à pied. Pour sûr qu’ils vont rejoindre la côte où un navire doit les attendre. Ils ont pillé le village, pris tout ce qui avait de la valeur. Et puis ils ont enlevé nos femmes. – Comment savez-vous qu’ils sont des partisans de l’Empire et non de simples hors-la-loi ? demanda Darren. – Ben parce qu’ils ne se sont pas cachés de leur appartenance ! cracha le chef. Maudit Lucans ! – Y avait-il des néogiciens parmi eux ? s’intéressa Darren. – Bien sûr que non ! Cette maudite engeance sait qu’elle n’est pas la bienvenue ici et qu’elle n’y trouvera que la mort si elle ne met qu’un seul orteil sur le continent d’Örn, berceau de la magie ! Le châtiment des Sources s’abattraient sur ces impies ! – Je vois, déclara calmement Darren à l’opposé de son interlocuteur. D’autres remarques ? |
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Son ton froid et les mots exacts que Rick avait déclamé juste après sa démonstration de puissance, gela les ardeurs des villageois qui s’étaient échauffés sous les propos de leur chef. – Dans ce cas allons-y, conclut Darren. Que désirez-vous faire ? – Oh ! couinai-je surprise en réalisant que c’était à moi qu’il s’adressait. Mignonne, je devais rester mignonne et concentrée. – Euh… Je peux vous accompagner ? Je ne suis pas aussi douée que vous, mais je peux faire ma part. Il ne fallait pas non plus que je passasse pour un boulet ou ils n’accepteraient jamais que je les suivisse et que je partageasse leur gloire. – Comme vous le souhaitez, fut sa réponse. Il se remit à courir tandis que Rick remettait brusquement en route le tovinga. Prise de court, je manquai de me renverser, resserrant ma prise sur Rick in extremis. Son rire chaud s’éleva en réponse à ma panique. – Vous pensez vraiment être en mesure d’affronter une centaine d’hommes ? m’enquis-je inquiète malgré le pouvoir apparent de Rick. Darren ne devait pas être en reste non plus, même s’il ne maîtrisait que la magie du vent. – Les villageois aiment bien exagérer, m’expliqua Rick. Quand vous nous avez dit trente, nous savions déjà que c’était moins. Et maintenant qu’ils nous ont dit cent, nous savons avec certitude qu’ils ne doivent pas être plus d’une dizaine. Et probablement pas si bien armé que cela. Il est évident que la protection dont dispose ces villageois est minime, puisque dans leur haine aveugle de l’Empire, tous ceux en état de se battre ont rejoint l’armée. Il y a des milices dans les plus gros villages, mais pour les petits comme celui-ci, ce ne sont que des patrouilles passant au loin. – Oh… fis-je confuse. Décidément, il me restait encore beaucoup à apprendre du monde. – Comment l’Empire a-t-il pu venir jusqu’ici ? demandai-je. – De la même manière que nous nous infiltrons chez eux, répondit Rick fataliste. Il n’y a pas suffisamment de personnes pour surveiller l’ensemble des frontières et faire la guerre et protéger et envahir. C’est aussi vrai pour l’Empire que pour nous. C’est pour cela que les aventuriers sont importants. Ils permettent de combler les lacunes que l’armée ne peut pas gérer. Ou les problèmes mineurs que l’armée ne considère pas comme essentiels mais qui le sont à l’échelle des villages. Auriez-vous croisez l’armée, ils vous auraient ignorée. Le pillage d’un village sans importance et l’enlèvement de quelques femmes ne constituent pas une priorité. – Mais c’est horrible, commentai-je. – C’est la réalité. Et c’est tout à fait compréhensible. L’armée ne peut se permettre de se détourner de ses objectifs au moindre petit problème. – Pourquoi on ne s’occupe pas d’abord de nous avant d’aller envahir les autres ? forçai-je pour tâter sa position sur la question. – Parce que vous trouvez que se couper des Sources est normal ? me demanda-t-il en retour et je sentais une certaine colère dans son timbre. – Non, bien sûr que non, m’horrifiai-je. Mais je veux dire... c’est déjà fait. Qu’est-ce que ça apporte de continuer à se battre contre eux ? Ils ont déjà tout perdu. Laissons-les dans leur coin. Ce n’est pas notre problème qu’ils se détruisent. – Sauf que ça se propage, me contra Rick. Ils continuent d’injecter des Olydriens chaque jour. – Ça reste leur choix, m’entêtai-je. Je n’avais pas envie de me retrouver coincée avec des extrémistes. – Pas la peine d’aller mourir pour ça, ajoutai-je honnêtement pour une fois. Je me demandai s’il me jetterait à bas de la monture pour mes propos. Si c’était le cas, mieux valait être fixée au plus tôt. Peu m’importait ce qu’il advenait des injectés tant qu’ils me laissaient tranquilles. Qu’ils vécussent ou qu’ils mourussent. – Contrairement à ce qu’a dit ce villageois, Lys et Ark’hen n’empêchent pas les hérétiques de mettre le pied sur Örn, répondit finalement Rick. De cela je m’en doutais, mais n’ayant jamais rencontré d’injecté, je ne pensais pas possible d’en croiser un tant que je restais sur le continent. – Les Sources nous ont laissé le libre arbitre, poursuivit Rick. Et notre choix c’est la destruction. Je ne parvenais pas à comprendre s’il souhaitait la destruction complète de nos ennemis ou s’il les prenait en pitié. Peut-être que ce type était plus complexe que ce que je pensais initialement. Cela s’annonçait compliqué pour la manipulation. Et dire qu’au village je leur faisais faire tout ce que je voulais… – Vous avez déjà rencontré des injectés ? poursuivis-je. – Oui. – Vous en avez tués ? – Oui. Wow. Je n’avais aucune idée de comment poursuivre la conversation avec des réponses pareilles. Le mercenaire ne fanfaronnait pas de son exploit, cela ne lui semblait pas douloureux pour autant, à vrai dire, il avait même une certaine indifférence sur le sujet. C’était un peu comme s’il avait fait ce qui devait être fait, une corvée et non un honneur. J’ouvris plusieurs fois la bouche pour tenter de relancer la discussion, mais je dus capituler devant mon manque d’inspiration. Pour un prince solaire, il était devenu bien sombre. Il dut bien s’écouler encore une demi-heure dans ce silence pesant. Finalement, nous aperçûmes le groupe que nous traquions. Et vice-versa. Il fallait reconnaître que si le tovinga était rapidité et puissance, la discrétion ne faisait pas partie de ses attributs. Nous étions à une telle distance que le groupe était compact et indistinct, il était impossible de déterminer qui était prisonnier et qui était armé. – Douze ennemis, énonça Darren contredisant mon commentaire. Tous masculins. Vingt-et-une femmes et neuf fillettes. J’eus confirmation que les pilleurs s’intéressaient à notre progression quand une boule de feu s’abattit sur nous. Je dus resserrer ma prise sur Rick qui fit faire un écart violent au tovinga pour éviter le projectile. Il ne ralentit pas l’allure pour autant. Trois attaques plus tard et nous fûmes sur eux. Enfin, Darren accéléra encore, devançant le tovinga de quelques secondes, lançant une courte dague qui vint se loger dans l’épaule du lanceur de sort. Ce dernier hurla de douleur avant de serrer les dents et de retirer la lame qui se retrouva fichée dans la terre. Une tache brune commença à s’étaler sur sa tunique mauve. – Rendez-vous ou mourrez, décréta simplement Darren tandis que le tovinga s’arrêtait brusquement derrière lui, lacérant la terre. – Tu es peut-être rapide Aventurier, mais vous n’êtes que trois, répondit l’un des hommes. Et je suppose que vous voulez récupérer ces femmes vivantes. Sur ces mots, il fit un signe à un autre bandit qui s’empara d’une femme et entama le geste pour l’égorger. Il ne pût jamais finir son geste. Une nouvelle dague avait jailli des mains de Darren. Et si l’homme parvint à éviter la première, il n’eut pas le temps de réagir face à la seconde. Il s’effondra dans un gargouillis de vermeil. Darren était plus que rapide. Il était capable de prévoir les actions et réactions de ses adversaires. Je me demandai si cela venait d’une faculté intellectuelle ou d’une influence sur le flux du temps. Quoi qu’il en fût, les mercenaires d’Alcor prirent cette agression pour une réponse négative et agirent en conséquence. Rick dégaina son épée et l’abattit vers les agresseurs. Le geste fut accompagné de quelques mots de magie et un immense mur de flamme se dressa sur la trajectoire de la lame, obligeant les bandits à s’esquiver précipitamment. Darren avait sorti ses deux épées et s’était élancé pour éliminer les deux hommes qui s’étaient retrouvés isolés par la manœuvre de Rick. Ce dernier avait relancé le tovinga qui finit de disperser la troupe en un bond, otages tout aussi déroutées. Je manquais de choir lamentablement de la monture. Rick me rattrapa de la main qui ne tenait pas son arme. J’ignorais si c’était une question d’équilibre précaire ou bien si le guerrier n’avait tout simplement pas autant de force que son compagnon, mais après un moment de flottement incertain, nous basculâmes tous deux du tovinga. |
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J’eus « la chance » de retomber sur le ventre et non sur le dos comme la dernière fois. Je fus donc en mesure de passer par une étape à quatre pattes pour me remettre sur les pieds après m’être remise du choc et du vide soudain de mes poumons. Pendant le moment que me prit la difficile tâche de me relever, le tovinga, encore pratiquement à l’état sauvage et à présent sans maître, s’agitait en tous sens, piétinant tout sur son passage. C’était le chaos. Je sortis ma hache, incertaine de la manière d’attaquer le problème. Les femmes tentaient de s’extraire de la mêlée sans grand succès. Les bandits cherchaient à peine à les rattraper, donnant des coups de lame ou d’autre pour leur barrer le passage. J’essayai de m’opposer à eux, mais la tâche était loin d’être aisée quand ils avaient plus d’expérience et plus de force que moi. Ma seule rédemption était le désordre ambiant et le peu d’intérêt qu’ils m’accordaient. Nous étions tous bien trop occupés à éviter le tovinga déchaîné. Le seul qui ne semblait pas perturbé, c’était Darren. Il circulait telle une tornade, se trouvant à l’autre bout du combat en un instant. La dispersion de ses efforts rendait les dégâts infligés minimes, néanmoins il parvenait à maintenir toutes les victimes en vie ce qui n’était pas une mince affaire. Puis le temps s’arrêta. Littéralement. J’étais incapable de bouger le moindre muscle. Les gens étaient devenus des statues. Parce qu’il était devant mes yeux, je pus voir que Rick était à l’origine de ce sort. Son bras droit pendait lamentablement le long de son corps et sa respiration était haletante. Il avait dû avoir moins de chance que moi en tombant. Toujours dans mon champ de vision, je vis l’homme qui s’était adressé à nous, commencé à se mouvoir, doucement puis de plus en plus vite. Le sort perdait de son influence sur lui. Rick ne bougeait pas et ne semblait pas l’avoir vu non plus. Je voulais le prévenir du danger mais j’étais complètement paralysée. Une épée se dressa silencieusement dans le dos du mercenaire. J’avais beau lutter de toute mes forces, j’étais incapable de ne serait-ce que de plier le petit doigt. Et tandis que la lame descendait inexorablement vers un funeste destin, un sifflement déchira l’air immobile. La tête du bandit roula au sol avant que son épée ne touchât terre avec fracas. Darren se dressait derrière Rick. Le brun ne prit pas le temps de se poser et fonça sur le tovinga, bondissant sur son dos. Le temps reprit son cours alors que Darren n’était pas encore assis sur la monture poursuivant sa course folle. Avec quelques difficultés, le mercenaire parvint à reprendre le contrôle de la créature qui éventra d’un coup de patte un bandit. Amochés et avec un effectif réduit, les autres pillards décidèrent de couper court au combat et de prendre leurs jambes à leurs cous. Ils détalèrent comme des grésillons. Ce fut inutile. Un orage magique les rattrapa, déchaînant une pluie d’éclairs. Il ne leur fut laissé aucune chance. Capitulez ou mourrez. Pas de demi-mesure. Darren éloigna le tovinga avant d’en descendre pour revenir vers nous, coinçant les rênes sous un rocher qu’il souleva sans peine. Il s’approcha en premier de son compagnon d’armes et examina son bras. Ce dernier ne put retenir un cri étranglé quand Darren le tâta et le manipula. Puis il tira sur les deux différentes parties du membre et il n’y eut plus rien de silencieux dans l’expression de la douleur du blond. Des larmes perlaient même au coin de ses yeux. Ce qui ne sembla pas émouvoir Darren davantage qui lui donna une potion bleutée à avaler avant de suivre avec ces propos : – Si tu as assez de réserves de mana, certaines de ces villageoises auraient besoin de soins. Rick acquiesça de la tête avant de se tourner vers les ex-otages. Darren le précédait, effectuant un premier tri. Il semblait avoir les connaissances mais pas la magie pour s’exécuter. Même pour une petite plaie. Rick n’avait de toute évidence pas exagéré en disant Darren nul pour un autre flux que celui de l’air. D’un autre côté, il excellait véritablement dans la manipulation de ce dernier. Et Rick était capable de magie extraordinaire ! Avec eux, le succès était assuré ! Il fallait absolument que je rejoignisse leur groupe. Je pourrais faire de la figuration et remporter toute la gloire. Bon, peut-être pas toute. Mais je n’avais pas besoin de l’intégralité de la victoire pour débuter. Sous couvert d’aider, et pour me donner plus de chances, je m’approchai du duo de mercenaires qui était en train de soigner une fracture ouverte. – C’est vraiment incroyable ce dont vous êtes capables, les abordai-je une fois l’opération terminée. Mieux valait ne pas déranger dans des moments pareils, s’ils me prenaient pour une enquiquineuse qui ne savait pas quand il fallait se taire, ce serait fini. – Votre renommée fera bientôt le tour de toute la Coalition. La flatterie était toujours un bon point de départ. – Non, déclara Darren me prenant de court. – Euh… Mais si, insistai-je. Ce n’est qu’une question de temps avant que vous ne soyez connus et reconnus. Peut-être que je pouvais m’occuper des relations commerciales si ce n’était pas leur truc ? Ils accomplissaient les quêtes et je m’occupais du service client… Il y avait de l’idée là-dedans. Je leur deviendrai ainsi indispensable sans prendre le moindre risque ! – Non nous ne recrutons pas, fit Darren implacablement interrompant mes rêves de gloire et de fortune. – Hein ? Mais euh, je travaillerai dur ! tentai-je de rattraper. Et je peux… Je n’eus pas le temps de finir ma phrase que Rick me coupa : – Hors de question d’avoir une femme dans l’équipe ! Il semblait révulsé à cette idée. – Que… Mais c’est complétement misogyne ! m’offusquai-je. – Peu importe le genre, nous ne recrutons personne, intervint Darren. – Bah, fit une des femmes secourues, vous avez bien raison. On ne sait jamais sur qui on tombe avec des inconnus. – Non mais vous êtes sérieuse là ? demandai-je interdite. Je vous ai sauvé la vie, vous pourriez montrer un peu plus de gratitude. – Ces jeunes hommes nous ont sauvé la vie, déclara une autre. Vous, vous leur avez compliqué la tâche. Et inutile de nier, ce n’est pas parce que vous avez semé le chaos qu’on ne s’en est pas aperçues. Non mais c’était quoi ces mégères ?! – Je peux venir moi ? demanda une petite voix. Je me tournai vers la nouvelle venue. Voilà qu’une gamine venait s’en mêler à présent. – Nous ne prenons personne, réitéra Darren. Pas même le Général Zandgravon. – Oh… soupira la petite peste déçue. Darren était un peu trop catégorique dans sa réponse et son ton ne laissait place à aucune négociation. De plus, avec tous ces gens, mon intégration était désormais morte et enterrée. Pourquoi étais-je venue les sauver déjà ? Je n’avais plus qu’à me trouver un autre groupe à présent. Inutile de perdre plus de temps ici. D’autant qu’avec ces vieilles plumosans, je n’aurais aucune part de la récompense pour sûr. J’entrepris donc de quitter les lieux. – Attendez, me rappela Darren. Avait-il changé d’avis ? Je me retournai pleine d’espoir. Cependant son regard n’était pas posé sur moi mais plus loin. Je pivotai pour voir ce qui l’avait interpelé. Néanmoins, à part la route, rien ne me sauta aux yeux. Le temps dût s’égrener un peu plus pour qu’une ligne noire apparût à l’horizon. Elle prit très vite de l’ampleur, plus large, plus haute et plus proche. Puis des points se firent un peu plus distincts. C’était une armée qui se dirigeait vers nous. Un mélange de fantassins et de cavaliers, que ce fut sur montures terrestres ou volantes. – On se fait envahir ? demandai-je effarée. J’étais dans un sacré pétrin. Comment me sortir de là ? Peu importait leur puissance, même les mercenaires d’Alcor ne pouvaient venir à bout d’une armée à eux seuls. – Ils brandissent des drapeaux de la Coalition, déclara Darren avant que la panique ne pût s’installer. Je respirai de nouveau. – Quand on parle du lopos… ajouta-t-il après un moment. Le Général Zandgravon est à leur tête. – Quoi ? s’étrangla Rick. Darren avait une sacrée vue quand même. Je distinguais à peine des taches rouges que j’imaginais être des drapeaux de notre faction. – On fait quoi ? demanda Rick d’une voix blanche. C’était à croire qu’il s’attendait à des ennuis. – Rien, répondit son compagnon. – Euh… Darren… On ne peut pas… Il faut que… – Ils nous ont repérés et envoient une avant-garde, nous informa Darren. |
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Peu de temps après, je repérai effectivement un groupe de montures volantes se détacher de l’ensemble et se diriger vers nous. Ils atterrirent suffisamment proche pour nous faire manger la poussière soulevée par les battements d’ailes de leurs créatures. Je toussai allègrement en réponse. – Que se passe-t-il ici ? demanda une guerrière sur un griffon. Elle portait une armure rutilante en étainium, son casque ne laissant paraître que des lèvres fines formant une moue déplaisante accompagnée d’yeux améthyste perçants. Une épée pendait à sa ceinture tandis qu’une lance était accrochée le long de sa monture. De toute évidence, elle était en charge. – Nous finissons le ménage après avoir déjoué un enlèvement, répondit tranquillement Darren. Cet homme savait décidément garder son flegme en toute situation. Nous autres étions complètement interdites face à cette démonstration sans effort de pouvoir. Les yeux des soldats parcoururent rapidement le terrain du regard, notant le corps sans vie des pillards et l’état moins que parfait des villageoises. Ils semblèrent en revanche passer sans me voir. – Je vois, déclara la cheffe – et je me demandais ce que Rick aurait à dire face à une femme en situation de pouvoir. Bien joué. Coalition… – Destruction ! s’élevèrent les chœurs auxquels je me joignis automatiquement. – Quels sont vos noms, braves aventuriers ? s’enquit la guerrière. – Nous sommes les mercenaires d’Alcor, répondit Darren. Un éclat de reconnaissance brilla dans le regard de la soldate. – Vraiment ? s’intéressa-t-elle soudainement. Le Général Zandgravon souhaitait justement faire votre connaissance. Helghir, prévenez-le. – À vos ordres ! salua le susnommé en donnant une impulsion à sa monture pour qu’elle redécollât. Apparemment, Darren et Rick avaient déjà atteint cette renommée que je leur prédisais. D’autant plus qu’ils n’étaient pas une large bande pouvant se faire remarquer plus facilement. Le travail individuel était toujours plus discret et de plus faible ampleur. – Ne nous avez-vous pas confondu avec un autre groupe ? interrogea Darren. Nous ne sommes que deux simples aventuriers. J’ignore ce qui aurait pu attirer l’attention du Général Zandgravon. – Ce n’est pas une erreur, affirma-t-elle. Le Général vous informera lui-même de ses raisons. – Euh… Darren… tenta une nouvelle fois Rick en chuchotant. – Il est inutile de s’inquiéter, lui assura son compagnon. À voir la tête de Rick, cela n’avait pas l’air d’être le cas. Il était extrêmement pâle et son visage était crispé. De toute évidence, une rencontre avec notre chef de faction ne lui disait rien qui vaille. Je me demandais quels démêlés il avait pu avoir avec lui pour le craindre ainsi. Était-ce un voleur ou un assassin repenti que Darren avait récupéré sous son aile ? Dans tous les cas, il me paraissait plus prudent de ne pas être associé au blond. Finalement, heureusement qu’ils ne voulaient pas de moi. Je l’avais probablement échappée belle. Puis le Général lui-même arriva. Il était impressionnant. Monté sur un dragon gris, vêtu d’une armure blanche étincelante parcourue de runes dorées, une lame d’un côté et un sceptre de l’autre, ses iris rouges laissaient transparaître une telle puissance qu’un simple regard donnait l’impression de tout embraser jusqu’à ce qu’il ne restât plus que cendres. Ses yeux s’étrécirent en se fixant sur Darren. Ce dernier avait toujours une attitude tranquille et relaxée contrastant entièrement avec Rick qui s’agrippait à son bras à s’en faire blanchir les phalanges. La prise devait être douloureuse. – Vous, fit le chef de la Coalition reconnaissant apparemment ses interlocuteurs. – Général Zandgravon, salua poliment Darren. S’ensuivit une discussion dont je ne saisis pas tous les tenants et aboutissants. – Comment est-ce possible ? demanda le Général. Que faites-vous ici au juste ? – Nous ne sommes que de simples aventuriers parcourant les chemins pour aider la Coalition où nous le pouvons, expliqua Darren. – J’en suis sûr, ricana le général. Vous commencez à gagner une certaine réputation. – Apparemment puisque vous êtes là. – Lord Dörzbach chante vos louanges. – Il fait souvent appel à nos services. – Il décrie cependant vos tarifs. – Il faut bien vivre. – Vivre, en effet… s’amusa le général. J’ai entendu dire que vous étiez capables de grands exploits magiques. – Je ne sais si cela peut être qualifié d’exploits, mais Rick a un certain talent pour la manipulation des flux en effet. Je ne peux me vanter de même. – Quels flux ? – Les huit aspects de la Vie et de la Mort. Mais il n’est expert dans aucun. – La polyvalence plutôt que la spécialisation. – Tel est son choix. – Que lui est-il arrivé ? ¬– Une mauvaise chute. Le Général descendit de sa monture et s’approcha. La poigne de Rick sembla inconcevablement se resserrer sur le bras de Darren. Étrangement, le réflexe du blond fut de se placer devant le brun, et non derrière, comme sa peur évidente aurait dû l’y conduire. Le chef de la Coalition ignora totalement Darren avec qui il avait échangé et se planta devant Rick. Des particules de mana s’accumulèrent dans sa paume qu’il appliqua sur le bras blessé du mercenaire, finissant visiblement de le guérir. Loin d’être soulagé par l’absence de douleur, Rick arborait une expression terrifiée. – En quoi pouvons-nous vous aider ? intervint Darren récupérant l’attention de l’homme de pouvoir. – En rien, trancha le général sans pour autant détourner son regard du blond. J’avais entendu parler de vous, mais vous n’êtes certainement pas le genre d’unités dont j’ai besoin pour ce genre de tâches. – Comme vous le souhaitez, s’accommoda Darren. Nous restons à votre disposition pour toute mission. – Je m’en souviendrai. Il y avait les mots qu’ils employaient et le sens de leurs paroles qui semblait complètement différé. Comme s’ils parlaient dans une autre langue ou avaient une discussion parallèle par la pensée. En tous cas, les deux hommes semblaient beaucoup s’amuser dans cet échange. Même le taciturne Darren arborait un sourire en coin. N’ayant plus rien à dire, le général ne s’attarda pas. Singulièrement, il se retourna cependant une et unique fois, contemplant les mercenaires d’Alcor. Puis son visage se durcit et il s’en fût. Ses soldats le suivirent. – C’était quoi ça ? Une fois la pression retombée, les mots s’étaient bousculés à la sortie de ma bouche sans filtre. – Le Général Zandgravon, déclara Darren ce qui ne répondait absolument pas à ma question et il le savait. Je m’apprêtais à répliquer quand une main vint fermement m’arrêter. – Il y a des choses qu’il vaut mieux ignorer, déclara une femme d’une cinquantaine d’années. Une assurance et un savoir acquis par l’âge brillait dans son regard. Elle avait une telle conviction que je ne pus que me plier. Ce qui n’éteignit pas pour autant ma curiosité. Ce qui haleta définitivement mon inquisition fut la manière dont Darren m’observait : avec attention et amusement, comme un brillargold qui jouait avec sa proie avant de la tuer. |
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Scène bonus #11 – Hé ! – Impossible ! – Vous avez-entendu la nouvelle ? – C’est pas vrai… – Il paraît que… – Je te jure que c’est vrai. – Quoi ? – C’est Gordöck qui me l’a dit. – Wow… Un murmure incrédule et spéculatif circulait d’aventurier en aventurier. – Bizarre. Tu en penses quoi Darren ? – Qu’un événement important est survenu, répondit le susnommé. Trouver des informations ne sera guère compliqué. Viens. Son compagnon d’armes lui emboita le pas pour rejoindre le groupe le plus proche. – Que se passe-t-il ? demanda Darren sans préambule. – Vous n’avez pas entendu ? s’étonna une archère. – Le Général Zandgravon est mort, révéla un mage. – Quoi ?! s’étrangla le compagnon de Darren. – Comment est-ce arrivé ? s’enquit Darren avec une pointe de curiosité. – Trois Seigneurs de guerre se sont alliés pour le renverser, expliqua l’archère. Ils n’étaient pas d’accord avec sa politique et ont décidé de prendre la tête de la Coalition. Ils se font appeler le Triumvirat Suprême. – Ça va être génial ! s’excita un assassin. Trois Seigneurs de guerre pour trois fois plus de dégâts ! – Ce n’est pas parce qu’il y a trois dirigeants au lieu d’un que les troupes se sont également multipliées, fit remarquer Darren. Quelqu’un connaît leur ligne de conduite ? – Il parait qu’ils vont lancer une gigantesque offensive et rayer l’Empire d’Olydri, se réjouit une guerrière. – Impossible, la contra Darren. Si c’était si simple, il y a longtemps que le problème aurait été réglé. Quelqu’un a de vraies informations ? – J’ai entendu qu’ils allaient conclure une alliance avec les Gagnetoriths, introduisit le mage. – Bah, tout le monde sait que la confédération marchande restera neutre, fit l’archère. Tout ce qui compte pour eux c’est le profit. À moins d’avoir une certitude absolue qu’il ne restera pas une miette de l’Empire, ils ne leur tourneront jamais le dos. – Moi j’ai entendu que le Triumvirat avait trouvé une relique Keosama dans les mines d’Etermine et que c’était grâce à ça qu’ils avaient renversé le Général Zandgravon, déclara un paladin. – Pourquoi partager la relique en trois ? fit un guerrier sceptique. – Peut-être qu’il faut être trois pour l’utiliser, avança le paladin. Ou qu’il faut la puissance de trois Seigneurs de guerre. – Ça ne m’a pas l’air pratique du tout ça, commenta l’archère. – Bah, eux ou le Général Zandgravon, ça ne va pas changer grand-chose, fit le guerrier fataliste. Des siècles qu’on est en guerre contre l’Empire, et pas un de nos dirigeants n’a été capable de réaliser une véritable avancée. Je vous le dis, moi, on n’est pas près de voir la chute de l’Empire. – Ce que tu es pessimiste, soupira le paladin. – Tu veux dire réaliste, répliqua-t-il. Je te ferais remarquer qu’on… Hé, il a pas l’air bien ton copain. Toute l’attention se porta sur le guerrier dont le visage était blafard et la respiration sifflante. – Rick ? s’enquit Darren en se plaçant face à lui. – Il est… mort ? souffla Rick d’une voix faible. – Quoi, il avait pris le Général Zandgravon comme idole et maintenant il est déçu ? se désintéressa l’assassin. Il était cool, mais clairement, s’il n’a pas survécu, c’est qu’il n’avait pas le niveau. – Ça m’a l’air d’être un peu plus que de la déception, se moqua le paladin. – J’aurais plutôt employé anéanti, rit l’archère. – Allez viens Rick, décida Darren. – Hé ! Vous avez entendu la nouvelle ? Parait que le Général Zandgravon est mort ! déclara un nouvel élémentaliste surexcité. Darren plaça un bras derrière les épaules de son compagnon d’armes pour le faire avancer. Cependant, malgré la légère pression, les pieds de Rick semblaient plantés dans le sol. – Il est… mort ? répéta Rick toujours aussi hébété. – Quoi, tu n’étais pas au courant ? fit l’élémentaliste. Il paraît que c’est un Triumvirat maintenant ! – Rick, insista Darren en renforçant la pression qu’il exerçait sur le jeune homme. – Mon père est mort ? lâcha finalement Rick. Le silence qui suivit sa déclaration fût catatonique. Tous les regards étaient braqués sur lui. – Wow… émit finalement l’assassin. – C’est vrai que j’ai entendu qu’il avait un fils, acquiesça l’archère. C’était quoi son nom déjà ? Ah oui… Almerick Zandgravon ! – Sérieux ? Tu es vraiment le fils du Général Zandgravon ? s’intéressa l’élémentaliste. Tu vas faire quoi ? Tu vas le venger ? Tu vas reprendre le pouvoir ? Mais le fils du défunt dirigeant était dans un tel état de choc qu’il n’entendait plus rien autour de lui. – Hé mais ce sont les mercenaires d’Alcor ! s’intégra un nouveau venu répondant au nom de Helnard. Quoi de neuf ? La nouvelle du décès du Général Zandgravon a dû vous parvenir, informés comme vous l’êtes. Pas que ça change grand-chose au train-train quotidien. Vous auriez pas besoin de main d’œuvre pour une quête des fois ? Tiens, il y a un problème avec Rick ? – Ouais ! s’enthousiasma l’assassin. C’est Almerick Zandgravon, le fils du Général ! Sa voix avait parfaitement porté, si bien que plusieurs aventuriers se retournèrent avec intérêt. – Sérieux ?! s’exclama Helnard. Wow ! Ça explique le niveau je suppose… Et du coup Darren tu es son garde du corps ? Vous allez faire quoi maintenant ? Devant les regards insistants de l’ensemble des présents et comme il ne parvenait pas à faire mouvoir Rick, Darren prit la décision unilatérale de saisir son compagnon d’armes et de le prendre sur ses épaules. Le mercenaire avait conscience que la situation pouvait rapidement dégénérer et qu’il était nécessaire de s’en extirper au plus vite. – Hé ! Tu vas où comme ça ?! s’éleva une voix. – Ouais, si c’est le fils du Général Zandgravon, y a moyen que le Triumvirat paye cher pour sa capture ! Un murmure approbateur suivit. – Faudrait pas mieux miser sur lui pour le futur ? Y a aussi moyen qu’il prenne la tête de la Coalition un jour après tout. La foule se fit contradictoire. Darren continua prudemment de s’éloigner avec sa charge. – Beaucoup trop de peut-être ! – Ouais, on est plus sûr d’avoir une récompense maintenant ! – Je suis pas du genre à parier sur des chances foireuses ! – Qu’est-ce tu racontes, tu paries toujours sur de la merde ! – Ouais, c’est comme ça que tu as perdu nos montures ! – C’était un risque calculé ! – Ben tu t’es quand même bien planté ! – Ouais, sans parler de… – Oh ! Allez laver votre linge sale ailleurs ! – Pas si vite mercenaire ! Où crois-tu aller comme ça ? – Laisse-nous Zandgravon et on te laissera partir ! – Bah, je vais faire la cueillette moi-même ! Ce dernier interlocuteur tomba aussitôt raide mort. – Quoi ?! fusèrent les cris de surprise. – Il s’est passé quoi ?! Ce ne fut que lorsque de l’écarlate commença à se répandre au sol que les témoins comprirent qu’un couteau était venu se plonger dans la gorge du trépassé. L’attention se reporta de nouveau sur Darren qui avait poursuivi son chemin. – Si vous tenez à la vie vous ne nous suivrez pas, déclara le susnommé avec froideur. – Tu es tout seul et on est une quarantaine, fit remarquer l’archère. – Peut-être que je ne pourrais pas tous vous tuer, admit Darren. Mais j’en emporterai plus de la moitié. À vous de voir si vous voulez prendre le risque de ne pas survivre. – Euh… paniqua Helnard. Moi je prends pas le risque. J’ai déjà vu ce gars se battre, il est super dangereux. – Sérieux, insista son compagnon Sötze, il a vaincu un dragon de fosphörgos à lui tout seul ! Darren profita du murmure incrédule pour prendre un départ définitif, accélérant soudainement. Pour les aventuriers restés médusés, il n’y eut qu’un nuage de poussière qui retombait lentement pour signaler cette abrupte disparition des mercenaires d’Alcor dont la Coalition ne vit plus jamais l’ombre. |
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Mission #12 – Mineurs La matinée commençait de la meilleure des manières : avec ma fiancée dans mes bras. J’avais encore du mal à croire qu’elle m’ait dit oui. Et pourtant le mariage était prévu dans deux mois. Étant militaires tous les deux, c’étaient nos parents qui avaient la charge de l’organisation de l’ensemble de l’heureux événement. Personnellement, je n’avais pas d’attentes particulières concernant la cérémonie, célébrer mon union avec ma merveilleuse promise me suffisait. – Tu as encore ce sourire niais sur le visage, me fit-elle remarquer à juste titre. – Je t’aime, lui répondis-je. Et même si elle leva les yeux au ciel, elle me laissa l’embrasser tendrement. – Allez debout, m’ordonna-t-elle. Aujourd’hui notre escouade accompagne le teknögrade Waldeck. – Oui mon commandant, soupirai-je en m’exécutant. – On est encore dans la chambre, déclara-t-elle. En tant qu’officier, elle avait le droit à une chambre seule tandis que je devais partager la mienne avec trois autres soldats. Autant dire que je n’avais pas mis les pieds dans cette dernière depuis que nous étions en couple. En tant que supérieure, elle avait longuement hésité à ne serait-ce que me considérer comme un partenaire potentiel. Mais ma cour longue et assidue avait été récompensée. – Et il n’y a que nous deux, conclut-elle. La règle indispensable qu’elle avait établie, était que je l’appelasse toujours par son grade sauf quand nous étions en situation privée ou civile. – Oui mon oiseau des îles, prunelles de mes yeux, lumière de… – Arrête Jared, rit-elle en me poussant. Je retombai sur la couchette. – Tout ce que tu voudras Tynelä. – Ce que tu peux être bête, décida-t-elle. Plus un mot ne fut échangé tandis que nous nous préparions avec efficacité, une routine bien rodée nous permettant de ne pas nous bousculer dans l’espace exigu. Puis je me tins droit tandis que Tynelä m’inspectait d’un œil aguerri. Ce dernier point était fait inconsciemment. Elle observait toujours avec minutie ses troupes, à la chasse du moindre petit défaut. Au début de notre relation j’avais trouvé cela infantilisant, puis en parlant avec elle, j’avais compris que ce n'était qu’une déformation professionnelle, un geste qu’elle réalisait spontanément. Alors je prenais la pose avec un sourire délibérément insolent. Invariablement, quand elle s’apercevait de ce que j’étais en train de faire et donc de ce qu’elle-même était en train de faire, elle faisait la moue avant de sortir. Après un solide petit-déjeuner, nous partîmes nous équiper avant de nous rendre au hangar B-23 auquel nous devions nous assembler. À sept heure trente tapante, les dix membres de l’escouade étaient prêts et présents. Ne manquait que le teknögrade Waldeck. Tynelä décida de répéter le briefing en attendant : – Notre mission consiste à explorer les mines de Lassierra, entrée D, section 44B751. Nous devons trouver la raison de la disparition inexpliquée de trois mineurs. C’est une mission d’investigation. Nous sommes une équipe spécialisée dans la reconnaissance. Cela signifie que nous ne devons pas engager l’ennemi. Ce n’est que du repérage, puis nous appelons une équipe d’intervention spécialisée pour intervenir. Me suis-je bien fait comprendre ? – Oui commandant ! répondîmes-nous en cœur. La lourde insistance sur le côté investigation était due à la présence du jeune Lorheff qui nous avait rejoint il y a peu et qui était encore tout feu tout flamme et avait tendance à foncer tête baissée. Proche de notre commandant comme je l’étais, je savais que Tynelä cherchait à le transférer à une autre unité, elle le trouvait trop impulsif pour le type de travail que nous effectuions. Je savais également qu’elle avait été retoquée, Lorheff ayant été repéré en amont pour ses capacités supérieures dans ce domaine. Cependant, s’il sortait encore du paramètre de la mission cette fois-ci, Tynelä reviendrait à la charge en arguant qu’il pouvait aller faire ses armes ailleurs et revenir une fois mature. Ce n’était pas une question d’âge, elle-même ayant été engagée à la sortie de l’école sur ce poste avant de gravir les échelons. De mon côté, j’avais évolué sur un poste plus classique avant de montrer certaines aptitudes. On m’avait alors redirigé vers mon poste actuel. – Les cas où nous sommes amenés à nous battre sont lorsque nous nous retrouvons malencontreusement dans une situation d’où l’on ne peut s’échapper. Et là encore, notre objectif reste de fuir et de rapporter l’information récupérée. Pour cette fois-ci, une décision peut venir du teknögrade Waldeck qui est également assigné à cette mission. – Le teknögrade Waldeck ne pourra pas être présent, intervint une nouvelle voix qui nous fit tous sursauter. Nous nous tournâmes comme un seul homme dans sa direction. Là, à moins de deux mètres sur notre droite il se dressait. Un néogicien à la silhouette élancée dont les vêtements n’étaient pas réglementés, sans insigne, sans grade, mais dont le tissu semblait militaire. Son visage ne reflétait aucune émotion et ses yeux semblaient voir jusqu’aux tréfonds de notre âme. Il était apparu sans un bruit, tel un esprit. – Qui êtes-vous ? l’interpela le commandant sans se démonter. Avant que le fantôme n’ait pu lui répondre, un tintamarre attira notre attention à l’autre bout du hangar. – Wouhou ! s’écria une femme en faisant de grands signes de bras dans notre direction. Elle formait une drôle de paire avec l’homme au bras duquel elle était accrochée. Tous deux vêtus de couleurs flamboyantes à en brûler la rétine, jusqu’à leurs cheveux, lavande vive pour elle et rouge écarlate pour lui. À cela s’ajoutait une stature de géant. Elle devait s’approcher des deux mètres. Lui, plus petit vers un mètre quatre-vingt-dix, possédait une carrure large et des muscles saillants qui en imposaient. Point étrange également, si elle avait les yeux ternes et métalliques des néogiciens, lui possédait des iris rouges. Nous les regardâmes abasourdis tracer leur chemin jusqu’à nous en ligne droite, obligeant techniciens et autres personnels présents à se mouvoir précipitamment. La femme lâcha le bras de son compagnon qui vint se planter devant nous, jambes écartés et poings sur les hanches. – Ne vous inquiétez pas pauvres perdus, commença-t-il. Moi, le grand, le magnifissime Apôtre de la Renaissance, connu pour mes mille-et-un tours, mon invincible force et ma détermination sans limite, suis venu vous prêter main forte en l’absence du malheureux teknögrade Waldeck qui, s’il avait eu mon savoir et mon ingéniosité, aurait pu se sortir des griffes de son ennemi et être aujourd’hui parmi nous. – Hein, le teknögrade Waldeck est mort ? interrompit Prisca. – Non, trancha la voix du spectre dont j’avais réussi à oublier l’existence. Et par le sursaut qui parcourut les rangs, j’en déduisis que je n’étais pas le seul. – Je dis simplement, reprit l’homme haut en couleurs, que si j’avais été présent lors de sa mission, je n’aurais pas manqué d’efficacité pour la mener à bien en temps voulu. Preuve s’il y en a besoin, que je suis parmi vous alors que ma précédente mission devait théoriquement se clore dans une semaine. J’avais du mal à imaginer que quelqu’un se hissant au rang de teknögrade de rang un ne fût pas efficace voire même efficient. – Donc vous venez en remplacement du teknögrade Waldeck, chercha à s’assurer notre commandant. – C’est exact ! confirma-t-il avec enthousiasme, et vous y gagnez au change ! – Waldeck est quand même un teknögrade de rang un, nota Tynelä sceptique. – Ah mais si j’avais été néogicien, assurément aurais-je été le bras droit de l’Empereur, affirma le concerné. Ne vous inquiétez pas, ma magie sans limite vous protégera. – Je ne suis pas familière avec la branche magique de l’armée, reconnut Tynelä. Vous avez un grade ? – Je ne fais pas partie de l’armée malheureuse ! s’offusqua-t-il. Je suis un consultant qui va où l’Empereur m’envoie, dans les situations les plus périlleuses et désespérées. – Pouvez-vous me présenter un ordre de mission ? insista Tynelä. – Comment osez-vous remettre en doute sa parole ! se récria la femme. – Je ne vous connais pas et c’est le protocole, répliqua notre commandant sans se démonter. La femme sortit l’ordre de mission d’un geste théâtrale et péremptoire, comme si elle n’en revenait toujours pas qu’on pût contrôler leurs identités et leurs dires. – Cela m’a l’air en ordre, conclut Tynelä. Je suis le commandant Brager. La dernière phrase ne poussa pas les nouveaux venus à se présenter. – Comment devons-nous nous référer à vous ? s’enquit alors Tynelä sans montrer l’agacement qu’elle devait ressentir. – Comment ? s’outra l’homme. Mais je suis sa somptueuse magnificence aux milles étoiles… – La version courte, le coupa Tynelä. – Bon, bon, s’il faut… je suppose que le grand Equifignamus suffira. – Te résumer à si peu… geignit la femme. – Et vous ? insista le commandant. – Oh moi je ne suis que Scyha. – Vous avez eu le briefing ? s’enquit Tynelä. – Ne vous inquiétez pas, je peux faire face à toute situation ! affirma Equifgnamus. – Avec les informations en amont, c’est tout de même plus simple, indiqua Tynelä. Elle utilisait cette voix plate qui permettait de ne pas trahir son état d’esprit dans des situations où, la majorité du temps, elle souhaitait ardemment procéder à la défenestration de ses interlocuteurs. – Nous avons perdu suffisamment de temps, mettons-nous en route, je vous donnerai les informations sur le chemin, décida-t-elle. |
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Nous montâmes dans le véhicule qui avait été mis à notre disposition. Tynelä et nos deux invités se trouvèrent au-devant tandis que j’étais plus sur la fin, je ne pus donc suivre la conversation qui s’ensuivit, si ce n’était les grandes exclamations des deux loufoques qui consistaient principalement en milles assurances qu’Equifgnamus était l’homme de la situation. Et elle, à quoi servait-elle donc ? Au premier, deuxième et troisième abords, c’était une groupie. Des comportements aussi extravagants ne m’inspiraient que peu de confiance. Et pourtant, la première impression que m’avait faite le teknögrade Waldeck avait été celle d’un homme trop bavard. Ce n’était qu’après la fin de mission que j’avais réalisé que ses informations étaient vides de contenu tandis qu’il en avait récupéré énormément sans effort apparent. Je réservais donc mon jugement définitif pour plus tard. Nous avions de la chance, le véhicule était en mesure de nous amener juste à l’entrée de la mine concernée, où un escadron montait la garde. Notre commandant présentait son ordre de mission à leur chef. La paperasse réglée, nous pûmes pénétrer dans la mine. Nous roulâmes jusqu’au prochain point de contrôle où il fut nécessaire de représenter les papiers et laisser notre véhicule. La suite se ferait à pieds. Tynelä avait le plus grand mal à imposer la discrétion à nos deux partenaires qui, effectivement, n’avaient rien de la discipline militaire. Quand soudain, Scyha demanda : – Au fait, qui êtes-vous ? Vous n’avez pas l’air d’être avec les autres. À qui s’adressait-elle ? Il n’y avait que nous dix, tous en uniformes, Equifgnamus, qui semblait être le centre de son univers, et elle. Une voix calme transperça le silence abrupt : – Je suis Darren… – Oh ! s’exclama gaiement Scyha. Un autre Darrenichou ! Cette fois-ci, la déclaration de l’homme de l’ombre fut accueillie par des bonds. – Comment êtes-vous arrivé ici ? s’enquit Parrot sous le choc. – Par le même moyen que vous, répondit-il tranquillement. Ok… Cela signifiait qu’il était monté dans le véhicule et que nous ne nous étions aperçus de rien pendant tout le trajet… Je ne savais pas d’où sortait ce type, mais il était flippant. – Êtes-vous un fantôme ? demanda à son tour Prisca à voix basse. Peut-être était-il l’un de ces mineurs décédés. Son esprit serait resté vérifier qu’on le vengerait bien. – Non, nia-t-il. Je possède les caractéristiques qui me définissent comme vivant. Une réponse tournée bizarrement. Le mystère s’épaississait. – Ne vous inquiétez pas, fit la voix toujours enjouée de Scyha, c’est un Darrenichou, ce ne peut être qu’un type bien ! – Oui, Darren est un excellent prénom, renchérit Equifgnamus. – Un prénom ne constitue pas une preuve en soi, déclara le concerné. – Pourquoi une telle insistance sur ce prénom ? s’interrogea Grömil. – Mais c’est évident voyons ! s’offusquèrent en chœur les deux énergumènes. Nous attendîmes la suite qui ne vînt pas. Ils continuaient d’attendre que nous ayons une révélation miracle. Ce fut finalement le dénommé Darren qui répondit : – Son prénom est également Darren. – Ah… fîmes-nous. – Vu comme ça, en effet, grommela l’un d’entre nous sans que je ne parvinsse à l’identifier. – Vous voyez bien que c’est évident, rit la femme. Ce n’est pas étonnant que ce soit Darrenichou qui ait trouvé la réponse. Ah, mais c’est compliqué avec deux Darrenichou… – Merryl, mon nom de famille, fait très bien l’affaire, finit de se présenter le susnommé. – Quel dommage, soupira Scyha, devoir renoncer à un si beau prénom. – Je reconnais et accepte ton sacrifice avec grâce, affirma Equifgnamus. Il ne sera pas oublié. – Oh mon Darrenichou, ce que tu peux être magnanime, piailla-t-elle. J’ignorais quelles étaient leur compétence, mais une chose était sûre : ils nous rendraient tous dingues avant la fin de la mission. – Pouvons-nous nous reconcentrer sur la mission ? s’agaça notre commandant. Vous, Merryl, je suppose que vous avez également été assigné à cette mission ? – En effet, répondit-il. – Bien, alors en formation et en route, décida Tynëla. – Et lui, vous ne lui demandez pas ses papiers ? s’étonna Scyha visiblement toujours outragée qu’on ait pu leur demander une quelconque justification à eux. Ah c’est parce que vous savez que c’est un Darrenichou. – Un Darren sait reconnaître la grandeur d’un autre Darren, appuya Equifgnamus. – Non, c’est parce qu’on a déjà perdu suffisamment de temps et que s’il n’était pas en règle il faudrait le ramener au poste précédent. Et puis on n’entre pas dans une zone confidentielle mais dans une zone dangereuse. Alors Merryl débrouillez-vous pour ne pas mourir, ça me ferait trop de paperasse. – Loin de moi cette idée, répondit l’interpelé. – Et c’est une mission de repérage, insista une nouvelle fois notre commandant. Alors vous restez discrets et vous n’engagez surtout pas l’ennemi, quel qu’il soit. Ça veut aussi dire que vous vous la bouclez. Scyha fit visiblement la moue après cette dernière remarque. Apparemment, elle n’avait pas fini de chanter les louanges de son Darrenichou. Ce dernier continua de se comporter comme s’il était l’Empereur en personne en ces lieux, et qu’il condescendait à faire plaisir à Tynelä. Ou que nous ne méritions pas d’entendre le son de son impérial timbre. Quant au second Darren, il sembla disparaître dans l’ombre dès que nous nous remîmes en marche. Je n’étais pas loin de penser qu’il n’était pas vraiment olydrien, mais plutôt qu’il sortait d’un laboratoire de Centralis. S’était-il ensuite immiscé dans la mission de son propre fait ou les scientifiques testaient-ils ses compétences ? – Waaah ! hurla soudainement de peur Spook avant de disparaître. Je resserrai ma prise sur mon blaster et observai les environs. Que s’était-il passé ? – Il est tombé dans un tunnel, me répondit Merryl. Nous braquâmes alors nos torches dans la direction du disparu et eurent la bonne surprise de le voir un mètre plus bas sur son séant. – La couche est mince sur une dizaine de mètres, établit Merryl. C’est pour cela qu’elle a cédé sous son poids. Spook se releva, regarda rapidement de part et d’autre s’il détectait quelque chose dans le tunnel avant de bondir en-dehors. – Quelque chose arrive ! nous informa-t-il. – Préparez-vous au combat, ordonna Tynelä. Je ne sais pas ce qu’il va sortir, mais mieux vaut rester prudent et être prêts à toute éventualité. Entraînés comme nous l’étions, ce ne fut que l’affaire d’une poignée de secondes de nous placer pour parer au mieux la menace. – C’est un dragon infernüm, affirma Equifgnamus. Un dragon ? Nous n’étions absolument pas prêts à faire face à un tel monstre. – Commandant ? s’éleva la voix tremblante de Prisca. – Vous êtes sûr de vous Equifgnamus ? interrogea Tynelä. – Je suis formel, confirma celui-ci. – À quoi devons-nous nous attendre, quelles sont ses caractéristiques ? interrogea rapidement Tynelä. – C’est une bête immense à l’écaille aussi flamboyante que ma chevelure… – Oh non, tes cheveux sont bien plus beaux, commenta Scyha. – … d’une furtivité sans égale, si ce n’est la mienne, poursuivit Equifgnamus. Il est aussi extrêmement rapide. N’espérez pas le distancer. De plus, ses crocs acérés sont capables de trancher un cochoboule d’un coup de mâchoire et ses griffes sont plus grandes que la plus grande épée qui existe. Ses flammes pouvant aller jusqu’à dix mètres sont lave en fusion. Sa description était effrayante. Nous n’étions pas du tout équipés pour lutter contre une telle monstruosité. Impossible de se battre ni même de fuir. – Vous racontez n’importe quoi, s’exaspéra Tynëla. – Commandant ? s’étonna Grömil. – Votre description est pleine de contradiction, lui reprocha-t-elle. Flamboyant mais discret ? Et pour une espèce connue pour sa rapidité, il n’est pas encore sorti de son trou. – Tiens ? C’est vrai que c’est surprenant ça, commenta Spook. J’ignore de quelle créature il s’agissait, mais elle se déplaçait rapidement. Et elle n’avait rien d’incandescent. – Mon chou, ce n’est pas gentil d’effrayer ces pauvres soldats comme ça, reprocha la voix de Scyha. Alors que tu as parfaitement reconnu un tunnel de digdug. Un digdug ? Ce n’était pas du tout le même type de créature ! Ces animaux ne faisaient pas cinquante centimètres et étaient plutôt inoffensives, pouvant même être domestiqués. – Tu as raison mon amour, je ne devrais pas jouer ainsi de la crédulité de ces malheureux. Mais que veux-tu, c’est plus fort que moi. Un dragon infernüm est quand même un bien meilleur adversaire qu’un digdug. – Toi si brave tu t’en sortirais aussi bien que contre un digdug, le rejoignis Scyha, mais tout le monde ne peut-être aussi doué que toi mon cœur. – Allons, je vous ai pourtant dit que vous étiez en sécurité avec moi ! nous réaffirma Equifgnamus. – Tu sais bien que les gens ne comprennent rien à rien, s’outra Scyha. Il ne te connaissait même pas ! Ce sera mieux après une démonstration de l’immensité de ton talent. – Navré de vous interrompre dans votre auto-félicitation, intervint Durpin sarcastique, mais pourquoi la bête n’est-elle pas encore sortie ? – Ah ces petites gens… soupira Scyha. Ne te fatigue pas mon bigloufy en sucre, je vais leur montrer. Et elle sauta dans la galerie du dessous. |
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Elle s’engouffra dans le tunnel. Des secondes chargées s’écoulèrent avant qu’elle ne ressurgisse, un petit animal dodu dans les bras. – Vous voyez, le chéri s’était endormi, expliqua-t-elle. – Il me fonçait dessus et il s’est arrêté comme ça ? fit Spook sceptique. – Vous êtes sûre qu’il n’est pas mort ? demanda Prisca. Il est peut-être malade et il va nous contaminer. – Les digdugs ont peu d’endurance et passent la majorité de leur temps à dormir pour restaurer leur énergie, s’éleva la voix d’outre-tombe. Je crois que je ne m’y habituerai jamais. Cette définition débitée comme une machine… Je tenais peut-être là une nouvelle piste. C’était plus qu’une expérimentation, c’était un robot. Bourré de technologie et capable d’imiter un être vivant. Il n’était pas parcouru des flux de la Vie et de la Mort, ce qui expliquait ses iris de néogicien. – Sauriez-vous où peuvent mener ces tunnels ? s’enquit Tynelä. – N’importe où ma petite, lui répondit Scyha condescendante. Les digdugs vont où ils veulent. Tynelä ne put retenir le tic qui trahit son agacement à être considérée ainsi. – Le problème ne peut être lié qu’à une galerie de digdug, décida Tynelä. Cela aurait été signalé et reconnut aisément. Continuons jusqu’au lieu de disparition. Avançons prudemment, d’autres parties pourraient s’effondrer. – Oui commandant, acquiesçâmes-nous. – Et vous, poser ce digdug, s’adressa-t-elle à Scyha. On ne va pas s’encombrer inutilement. Scyha fut fort émue en laissant le digdug dans son tunnel. Equifgnamus compatit aussitôt, ce qui déclencha l’ouverture des vannes. Et elle pleurait bruyamment. – Silence, s’agaça Tynelä. S’il s’est endormi aussi facilement au milieu d’une galerie, c’est qu’il y est parfaitement à l’abri. – Ça ne m’a pas l’air prudent comme lieu pour faire la sieste, il reste quand même super vulnérable, commentai-je. Tynelä me fusilla du regard tandis que les pleurs reprenaient de plus bel. – Euh… mais il a survécu avec ce mode de vie des années durant, donc c’est que ce n’est pas une si mauvaise technique ? tentai-je de me rattraper. – Vous croyez ? pleurnicha Scyha. – J’en suis certain, affirmai-je. L’espèce n’aurait pas survécu sinon. Ces derniers propos semblèrent la rasséréner. – Mais oui mon oiseau des îles, pépia Equifgnamus. Je sais, je vais lui lancer un sort de protection, comme ça il sera encore plus en sécurité. Le commandant voulut sans doute lui intimer qu’il n’y avait pas le temps, cependant elle manqua son opportunité quand il commença à réciter. Tout le monde savait qu’interrompre un sort pouvait avoir des conséquences désastreuses. De plus, nous étions sous terre, où les effets pouvaient être encore pires. Je me consolai en me disant qu’au moins nous aurions une démonstration de son fameux pouvoir avant d’en avoir réellement besoin. Il y eut beaucoup de lumière. Puis un rayon parti d’Equifgnamus pour atteindre la créature qui poussa un petit cri, mélange de panique et de douleur, avant de s’enfuir. – Et voilà le travail, s’auto-congratula le mage. – Oh merci mon amour, tu es toujours aussi formidable ! se réjouit Scyha. – Ça a vraiment fonctionné ? s’enquit Tynelä sceptique. – Mais bien évidemment, assura Equifgnamus, douteriez-vous de mon talent ? Oui. Définitivement oui. Cependant, connaissant un peu mieux les deux personnages, personne ne voulut manifester cette pensée et se lancer dans un débat stérile. – En route, reprit Tynelä en soupirant. Une certitude, nous ne devrions compter que sur nous-mêmes en cas de danger. J’espérais juste que ces deux énergumènes n’en apporteraient pas davantage. Nous nous étions enfin remis en marche, mais impossible de les faire taire. Ce n’était que des « mon amour » par-ci, « mon cœur » par-là, et autres surnoms ridicules qui me faisaient grincer des dents. Ce que je pouvais être heureux avec Tynelä et son pragmatisme. Par le passé, j’avais souhaité qu’elle fût un peu plus romantique. Mais cette idée s’arrêtait ce jour. Tout était très bien tel que c’était. J’étais tellement écœuré par les deux autres que j’avais envie d’appeler mes parents pour leur demander d’annuler tous préparatifs de mariage, que ce serait purement et simplement administratif. – Silence, exigea soudainement Tynëla. J’entends un bruit anormal. – Ah ? Je n’entends rien, fit Equifgnamus. – Silence ! Je me concentrai sur mon ouïe, distinguant une sorte de vrombissement. Le son était si faible qu’il n’était pas étonnant qu’Equifgnamus, un olydrien n’ayant pas les sens aussi développés qu’un néogicien, n’entendît rien à cet instant. – À terre, ordonna-t-on. Habitués à obéir, nous nous laissâmes aussitôt choir sur le ventre. Ce ne fut pas le cas de nos deux invités. Néanmoins, une force poussa Equifgnamus qui lui-même entraîna Scyha dans sa chute. – Oh, merci de me protéger de ton corps mon amour, s’éleva la voix de la femme. – Ne vous inquiétez pas, j’ai la situation en mains, répondit Equifgnamus. Considérant qu’il n’avait pas perçu le bruit et que, vraisemblablement, Merryl était à l’origine de l’ordre et de son suivi par Equifgnamus, j’avais mes doutes. De très forts doutes. – On ne devrait pas parler aussi fort, fit remarquer Scyha, ça risque d’attirer l’attention des chiropteras. Des chiropteras ? Un instant plus tard, tandis que le bruit ne cessait de grandir, nous fûmes survolés par des petits mammifères aux ailes diaphanes à l’envergure démesurée. Nous attendîmes figés dans le plus grand silence. Puis le bruit s’éloigna et soufflant de soulagement, nous commençâmes à nous relever. – Attendez, trancha la voix de Merryl. Je cessai immédiatement tout effort pour retrouver une position verticale. Merryl ne parvint de toute évidence pas à maintenir Equifgnamus plaquer à terre, sa silhouette se découpant aisément. – N’ayez crainte, déclara-t-il, le danger est passé. Et quand bien même en resterait-il, je suis là pour vous protég… Ah ! C’était un cri de douleur et de panique. – Oh non mon sucre d’orge ! s’écria Scyha. Cette dernière se releva aussi sec et d’un coup d’un grand objet contondant, se débarrassa de la chiroptera qui s’en était prise au visage d’Equifgnamus. Je fus surpris que seule la créature fût touchée. La bête atterrit près de Tynelä qui la bloqua d’une main et utilisa son blaster de l’autre pour l’achever. – Debout ! nous ordonna notre commandant. Elles nous ont repérés, il faut les abattre ou les faire fuir. Et attention au fait qu’on soit sous terre. Pas de tir de blaster hâtif, et surtout pas d’explosion. Nous possédions un peu d’explosif fortement protégé, ne devant servir qu’au cas où nous aurions besoin de faire effondrer une partie de la mine. Grömil et moi étions en charge de cet équipement, les seuls à avoir reçus la formation adaptée et donc à savoir les utiliser correctement. Comme ce matériel ne relevait pas d’une utilisation courante, nous seuls étions aptes à l’utiliser et recevions de fréquents rappels de théorie et de pratique à ce sujet. Nous dûmes donc privilégier l’utilisation de nos armes de poing, composées d’un manche en acier duquel jaillissait une lame de rosaphir. Un ingénieux processus permettait à la lame de changer de taille passant de quinze à quarante centimètres. Je la réglai sur le format le plus court au vu du faible espace d’évolution disponible. Equifgnamus émit du son et de la lumière. Le tout était accompagné d’une onde de choc qui nous envoya nous aplatir contre la paroi que je crus sentir trembler. Pitié, que le tunnel ne s’effondrât pas sur nous. Une fois le voile noir disparut de ma vision, je pus observer Scyha danser, il n’y avait pas d’autre terme, une lame rose dans chaque main éclairant le tunnel. Les chiropteras tombaient en un cri aigu de panique. C’était sublime. – Oh mon Darrenichou ! s’exclama-t-elle une fois sa performance conclut. Elle se précipita vers le mage. – Pas d’inquiétude, je maîtrise la situation, affirma-t-il. Du sang coulait de son front, Scyha s’empressa de remédier au problème, lui nettoyant sa plaie avec tendresse. – Tu es un tel héros, minauda-t-elle. Je ne sais pas ce que nous serions devenus sans toi. – Sans lui, personne ne se serait relevé et personne n’aurait attiré l’attention de ces chiropteras, énonça notre commandant. On peut s’estimer heureux que les autres n’aient pas fait demi-tour ou on aurait été submergé. – Comment osez-vous ?! se récria Scyha. Mon Darrenichou est le plus grand héros qu’Olydri est connu. Sans lui, il y a longtemps que l’Empire serait tombé. – Depuis le début, il n’a servi à rien, si ce n’est émettre des hypothèses loufoques et provoqués des catastrophes qui n’avaient pas lieu d’être, ne se démonta pas Tynelä. – Vous ne voyez pas ce que je vois, se rebiffa Scyha. – Et vos sentiments vous aveuglent, tempêta Tynelä. Je suis sûre que vous pourriez être bien plus qu’une potiche au bras d’un abruti. – Je ne vous permets pas ! s’offusqua Scyha. – Notre vie personnelle ne doit pas impacter notre travail, poursuivit Tynelä. – Et vous vous n’êtes qu’un manche à balai qui ne comprend rien à l’amour et qui resterez seule toute votre vie ! Tous les regards de mes camarades se dirigèrent vers moi. Par miracle, personne ne pipa mot. Je me demandai si je devais intervenir, mais j’étais loin d’être persuadé qu’intercéder aiderait véritablement. Ni que mon concours serait le bienvenu. On était dans le domaine du professionnel, et Tynelä avait été claire là-dessus. Dans ce monde-là, elle était ma supérieure et c’était tout. D’autant qu’elle n’appréciait pas que quelqu’un règle ses problèmes à sa place. Je me tenais donc prêt, mais j’attendais sagement un signe de sa part. – Assez. Je bondis, mon cœur battant soudainement à cent à l’heure. Ce gars, cette chose, cette expérimentation… surgissait une fois de plus de nulle part. |
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– La vie de mes soldats est potentiellement en jeu à cause de cet énergumène, fit notre commandant. Je ne peux pas lui faire confiance pour poursuivre. – C’est votre droit de vous retirer et votre devoir de veiller sur vos subordonnés, reconnut Merryl. Je continuerai seul. Sur ces mots, il reprit son avancée. – Ne vous inquiétez pas, moi, le grand Equifgnamus, je vous protégerai ! déclara le susnommé en grandes pompes avant de lui emboîter le pas. – Ça c’est un héros, renchérit Scyha à sa suite. Attendez-moi mes Darrenichoux ! – Que… émit Tynelä dépassée. Bientôt il ne resta plus que nous. – Quels sont vos ordres commandant ? finis-je par lui demander. Tynelä prit une grande inspiration pour se recentrer. – Jared ? m’appela-t-elle. Je me crispai aussitôt. Elle n’utilisait jamais mon prénom lorsque nous étions déployés ainsi sur le terrain. – Oui ? émis-je avec un son qui resta bloqué dans ma gorge. – Je t’aime. Ce fut tellement inattendu que je réussi à peine à bafouiller un « moi aussi ». – Bien, en route, se reprit notre commandant après ce petit épisode. On ne peut pas laisser ces… je ne sais pas quoi… Ils n’ont rien de militaire alors on va dire des civils. On ne va pas laisser ces civils à la merci de ce qui se cache au bout du tunnel. Au vu du comportement d’Equifgnamus, préparez-vous à affronter de la résistance. Quelle raison que ce fut pour la disparition des mineurs, je ne doute pas qu’Equifgnamus ira la réveiller. Nous ne sommes plus très loin du secteur. Si possible, on les rattrape, on les chope, et on les traîne jusqu’à l’entrée. – Je ne pense pas que Merryl soit attrapable, commenta Spook. – C’est clair, assentit Prisca. Ce type se fond comme les ombres. – J’ai une théorie à ce sujet, intervins-je. – On écoutera tes élucubrations plus tard, m’interrompis Tynelä. Ils ont déjà suffisamment d’avance sur nous. – Oui commandant, acquiesçâmes-nous. – Comment se fait-il qu’on se soit fait attaquer ? demanda Reftarpou. Je croyais les chiropteras toutes passées également. – Probablement des retardataires, répondit Tynelä, il y en a toujours qui sont plus lents que d’autres. Au loin nous vîmes une lueur importante qui n’avait rien à voir avec celles que pouvaient émettre les torches dont nous étions équipés. Sans un mot, nous accélérâmes le pas, nous enfonçant dans une fumée grisâtre. Il apparut rapidement que les parois étaient en feu. – Qu’est-ce qu’il s’est passé ? murmura-t-on. – Comment est-ce possible ? – Je te parie que c’est un sort foiré d’Equifgnamus, affirma Spook. – Restons prudent, nous exhorta notre commandant. Il est plus qu’urgent de retrouver les trois personnes et de quitter les lieux. Nous continuâmes en une seule file afin d’augmenter la distance avec la paroi enflammée. Le sol n’était miraculeusement touché que sur les bords. Ce qui ne nous empêchait pas de ressentir la furnaise qu’était devenu le tunnel. Nous débouchâmes dans un espace plus dégagé, non loin du lieu de disparition des mineurs. Trois silhouettes ressortaient, découpées par la lumière. Ils semblaient observer les flammes avec émerveillement. – Que s’est-il passé ? demanda Tynelä. – Tiens, vous êtes venus finalement, s’étonna Scyha. – Et bien je dirais que c’est de la substance visqueuse et fortement inflammable recouvrant les écailles d’un dragon infernüm, avança savamment Equifgnamus. – Un dragon infernüm ne possède pas cette caractéristique, le contra Merryl. Nous aurions pu paniquer cette fois-ci. Les élucubrations d’Equifgnamus avaient été fausses jusqu’à présent, cependant, nous étions entourés par des flammes parcourant les parois. – C’est moi qui ai allumé le feu, indiqua Merryl et sa voix me parut légèrement déformée. Ce gars était-il pyromane ? – Ce n’est pourtant pas une mine de charbon… murmura Prisca. – Et vous avez brûlé quoi ? demanda Tynelä. À part de la terre et d’autres minerais, tous de mauvais combustibles, il n’y avait rien qui put servir à nourrir un feu. La fumée commençait à me piquer les yeux. – De la toile d’araignée, répondit Scyha gaiement. Ça brûle super bien. – Mais il y a combien d’araignées pour qu’il y ait autant de toile ?! paniqua Clorface. Je n’étais pas arachnophobe, mais je ne désirais pas non plus voir ce qui avait pu tisser autant de toile. – Nous le saurons bientôt, déclara Merryl. Le feu devrait les faire sortir de leur cachette. Ce mec était un pyromane. – Mettez-vos masques à oxygène, nous enjoignit-il. Maintenant qu’il le mentionnait, j’avais du mal à respirer. Lui semblait déjà équipé. – Tiens mon Darrenichou, ton masque, fit Scyha. – Ne t’inquiète pas, ma magie peut nous proté…, il fut interrompu par une quinte de toux. Pitié, pas encore de la magie. Fort heureusement, Scyha lui colla le masque sur le visage. Après quelques respirations laborieuses, Equifgnamus affirma que c’était mieux ainsi, que cela lui permettait de garder sa puissance pour la bataille à venir, même si, doué comme il l’était, il était capable des deux. – Je doute que ce soit de simples araignées, affirma Merryl. Scyha, tu sais de quoi il s’agit ? – Mmh ? fit la susmentionnée. Oh, ce sont des araignées primordiales, bien évidemment. – Je ne connais pas ces créatures, mentionna Merryl. Pourrais-tu me donner leurs caractéristiques et saurais-tu estimer leur nombre ? – Rien de plus simple ! affirma Equifgnamus. – C’est à Scyha que je demande, le coupa Merryl. – Oh… euh… et bien… fit celle-ci incertaine. – Bon, bouda Equifgnamus, si mon sucre d’orge est d’accord. Mais c’est mon oiseau des îles ! Je ne permettrai à quiconque de me la voler ! – Loin de moi cette idée, déclara Merryl. Je ne pensais pas qu’Equifgnamus avait besoin de s’inquiéter sur ce point-là. Je voyais très mal le spectre avec le feu d’artifice ambulant. Et elle était éperdument amoureuse de lui à n’en pas douter. – Alors, commença Scyha en ayant retrouvé sa vivacité coutumière, ce sont des arachnides pouvant mesurer plus de dix mètres, ultra rapides. Il faut faire attention à leurs pattes tranchantes, à leurs mandibules tranchantes, à leur dard tranchant et à leur gaz… – … tranchant ? fit Grömil. – Non, soporifique, déclara Scyha. – Euh, oui, ça paraît plus logique, pardon, s’excusa-t-il devant tous nos regards réprobateurs. – Une fois endormi, elles vous emballent dans un cocon ultra résistant et vous conservent pour vous manger plus tard, conclut Scyha. – Quel est la réaction de leur gaz au feu ? poursuivit Merryl. Cependant, Scyha n’eut pas le temps de répondre que nous dûmes faire face à trois arachnées mesurant cinq mètres d’envergure chacune. – Quels sont leurs points faibles ? s’enquit rapidement Tynelä. – Le dessous est un petit peu moins résistant que le dessus, déclara Scyha. Je n’étais pas très rassuré. – Et si on se repliait ? suggérai-je. – Nous ne courrons pas assez vite pour ça mon petit, me dit-elle avec condescendance. L’avantage des parois enflammés, c’était que pour éviter de finir en cendre, les araignées étaient obligées de rester au sol. Elles nous faisaient face avec une certaine incertitude, comme si elles avaient peur. – Elles ont l’habitude d’attaquer depuis le plafond, réalisa Tynelä. Ce qui collait avec l’explication de Scyha comme quoi les araignées seraient plus vulnérables par en-dessous. À terre, leur haute taille les désavantageait. En effet, elles se retrouveraient au-dessus de nous, en nous exposant leur point faible. Merryl sortit une arme composée de trois morceaux qui s’assemblèrent en un seul bloc d’un geste sec du poignet. Il mit en joue et tira. Ce ne fut pas une salve de rosaphir qui sortit du canon comme on pouvait s’y attendre, mais une balle en métal, si rapide qu’on ne pouvait suivre son parcours. En face, l’une des créatures poussa un cri aigu de douleur. Un liquide violet coula de l’un de ses yeux. – Whaou, quel tir de précision, admira Spook. Cela ne sembla pas arrêter les araignées pour autant. Merryl continua sur sa lancée. L’un des monstres voulut éviter le projectile et se jeta sur la paroi de feu. Elle en retomba bien vite, et Merryl en profita pour finir de détruire sa vision. L’araignée était désormais aveugle et sur le dos. Scyha bondit pour atterrir sur le ventre de l’araignée et y planter sa lame. Les pattes de l’araignée se refermèrent aussitôt, le tranchant de leurs appendices fendant l’air. Je me souvins de la dangerosité mentionnée de ces membres. Scyha aurait dû finir en charpie. Vive comme un ouistikong, elle glissa entre les différentes pattes, avant de continuer de mutiler l’araignée primordiale jusqu’à ce qu’elle cessât tout mouvement. Pendant ce temps, les deux autres décidèrent d’avancer sur nous. Notre commandant nous ordonna de tirer pour les ralentir. Nos salves s’abimèrent sur leurs corps sans leur causer de dégâts. En un instant, elles furent sur nous avec leurs mandibules beaucoup trop proches. Nous n’avions nulle part où fuir, le feu couvrant tout. S’il empêchait les arachnées de nous assaillir de toute part, il bloquait également nos mouvements. La plus proche s’affaissa soudainement, sa tête tombant juste devant Tynelä. – Les pattes, indiqua Merryl. |
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De quoi parlait-il ? Me tournant quelque peu, je l’aperçus en train de mettre en joue la dernière araignée. Heureusement, notre commandant avait compris son commentaire. Elle tira, visant la jointure entre les pattes et le corps. La créature ne se laissa pas faire, voyant que se débattre ne servait à rien, elle libéra ce qui devait être le gaz soporifique que Scyha avait mentionné. L’effet ne fut pas celui escompté, nos masques nous isolant de toute substance respiratoire extérieure. L’araignée chercha alors à utiliser son filin pour nous coincer. Cette technique était bien moins efficace quand sa victime n’était pas endormie. Je perdis soudainement l’équilibre et dus lâcher mon blaster pour ne pas manger le sol à pleines dents. Que s’était-il passé ? Une vive lueur de rosaphir passa non loin de ma cheville, tranchant le fil qui avait déclenché ma chute. J’avais mon explication et ma solution. Je me dépêchai de me remettre sur pieds et de récupérer mon arme, adressant à peine un signe de tête pour remercier Spook de m’avoir libéré. – Ah ! s’écria Prisca. Ce dernier venait de basculer comme moi. Il eut en revanche moins de chance car il fut entraîné dans le feu. La toile brûla instantanément et se propagea à ses vêtements. Ses hurlements redoublèrent d’intensité. Et nous ne pouvions rien faire pour l’aider. Incongrument, un hameçon vola jusqu’à lui. Le câble auquel il était accroché se tendit. Son corps fut sorti des flammes pour revenir sur le chemin de terre. Au bout de ce câble se trouvait une canne à pêche. Dans les mains de Scyha. Merryl se défit aussitôt de son manteau et se jeta sur Prisca. Scyha se tourna vers l’araignée numéro trois et reprit là où Merryl s’était arrêté, achevant de trancher les pattes que Merryl avait affaiblies grâce à ses tirs de haute précision. Nous aidâmes notre commandant à terminer la numéro deux. Le calme retomba en même temps que l’intensité des flammes. – On est en vie, ne pus-je m’empêcher de lâcher un brin surpris. – Prisca ? demanda aussitôt Tynelä. Je me tournai vers notre camarade tombé. Il était encore couvert du manteau de Merryl. Ce dernier semblait avoir réussi à étouffer les flammes. – Brûlures importantes à traiter, répondit Merryl tandis que Prisca hurlait encore. Spook sortit son kit de soins d’urgence et commença à s’affairer autour du blessé. – Ce n’est pas fini, prévint soudainement Merryl. Là, au milieu de la fumée, jaillit une araignée encore plus importante. Elle devait mesurer au moins dix mètres d’envergure. Elle n’attendit pas et nous rejoignit en un instant. Elle embrocha Tynelä sans que nous ne puissions réagir. L’araignée se rétracta cependant aussitôt, laissant la patte dans le corps de ma bien-aimée. Apparemment, Merryl avait profité de l’assaut pour lui trancher le membre. Je me pressai pour soutenir Tynelä qui regardait effarée l’appendice jaillir de son ventre. – Merde, jurai-je. Merde, merde, merde… L’immense araignée était maintenant sur la paroi sur notre gauche. La chaleur résiduelle ne semblait pas la déranger. Elle fondit ensuite sur Merryl. Ce dernier évita de justesse l’attaque et fit tomber une autre patte d’un coup de lame bien placé. Ayant perdu un membre de plus, l’araignée tenta le gaz, sans effet comme celui de ses petites sœurs. Merryl poursuivit l’araignée. La vitesse du néogicien était surprenante. Néanmoins, la créature demeurait la plus rapide. J’ignorais comment Merryl faisait pour ne pas finir en charpie. Du renfort vint du côté de Scyha qui parvint, avec sa canne à pêche, à enserrer une patte de l’araignée et à la ralentir, presqu’à la faire tomber avec ses deux pattes déjà manquantes. Ce gain de temps nous fut favorable, permettant à Merryl de se glisser sous le corps de la créature et à planter plusieurs fois sa lame dans la partie vulnérable du monstre qui hurla sa douleur. Merryl se dépêcha de sortir de ce piège tranchant, tandis que l’araignée se débattait de plus belle. Malgré les ruades, Scyha ne lâcha pas, démontrant une force hors du commun, même pour un néogicien. Enfin la bête cessa de bouger, ses pattes se repliant vers son corps pour former une boule. – Je ne crois plus entendre de monstre, fit Merryl. Il était difficile d’être certain d’une telle chose, les cris de Prisca continuant à se propager dans l’air ambiant. Néanmoins, Merryl sembla suffisamment satisfait de son assertion car il se détourna de la suite du tunnel pour s’approcher de nous. Je pus alors constater qu’il n’avait pas réchappé indemne de l’attaque. En effet, deux longues lacérations et une plus petite, le labouraient du torse à la cuisse, maculant doucement de vermeil ses vêtements. Il ramassa son manteau avant de se diriger vers Tynelä. Il utilisa sa lame de rosaphir pour couper le vêtement grossièrement en deux. Puis, sans un mot, il saisit et sortit d’un coup sec la patte toujours plantée dans notre commandant. Cette dernière eut un hoquet de surprise. Merryl me la prit des bras et l’allongea sur une partie du manteau qu’il avait roulé en boule. Il sortit de sa ceinture un petit flacon qu’il aspergea à l’intérieur du vidé béant qu’était devenu l’abdomen de Tynelä. Enfin, il appliqua l’autre partie du manteau sur la plaie. – Presse, m’ordonna-t-il. Ne sachant que faire d’autre, j’obéis. Merryl saisit alors une seringue et injecta le contenu à Tynelä. – Elle devrait survivre jusqu’aux secours, déclara-t-il. – Je n’ai pas de quoi traiter Prisca, fit Spook de son côté. Merryl s’approcha du grand brûlé et lui injecta une dose d’on ne savait quoi. Prisca cessa presque aussitôt d’hurler et de se débattre. – Scyha, je te laisse protéger le groupe en mon absence, décida Merryl. Je vais chercher des secours. – Ne vous inquiétez pas, surgit la voix d’Equifgnamus, ma magie va vous sauver. Dans le feu de l’action, j’avais complètement oublié son existence. Mais où était-il passé quand on avait besoin de lui ? Au vu de l’état presqu’impeccable de ses vêtements, il me parut évident qu’il était gentiment resté planqué quelque part bien à l’abri. Un sentiment de rage bouillonna en moi. Sentiment qui s’éteignit bien vite tandis que mes mains continuaient de comprimer l’ouverture béante dans le corps de ma fiancée. – Les grands guerriers ne sont pas les grands soigneurs, intervint Merryl avant qu’Equifgnamus provoque une autre catastrophe. – Généralement je serais d’accord avec vous, ne se démonta pas Equifgnamus, mais dans mon cas… – Un guerrier ou un soigneur ? interrompit Merryl insistant. – … un guerrier, finit par concéder Equifgnamus. – Vous n’avez qu’à commencer le récit de votre aventure, suggéra Merryl. Il serait fâcheux d’oublier un détail. – Une excellente idée ! approuva Equifgnamus avec enthousiasme. Et il sortit un petit calepin et commença à prendre des notes. – Oh oui mon Darrenichou, acquiesça Scyha. Il ne faudrait pas que le monde manque la moindre miette de tes exploits. Le déclencheur de catastrophe innocemment occupé, Merryl nous abandonna, courant vers la sortie et les secours. Il était vraiment, vraiment très rapide, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander si ce serait suffisant pour Tynelä. Ces yeux étaient ouverts mais elle respirait avec difficulté. Son teint me paraissait bien pâle, mais je n’aurais su dire si c’était vraiment le cas, si c’était le masque, ou encore si cela était dû à la lueur de nos lanternes, bien moins importante que les flammes vives qui avaient ravagé les lieux quelques minutes auparavant. La fumée commençait d’ailleurs doucement à se dissiper par les systèmes d’aération du tunnel jusque-là complètement saturés et insuffisants. – Allez Tynelä, l’encourageai-je, tu ne peux pas me lâcher comme ça. Elle eut un faible sourire. – Ne t’endors pas, lui ordonnai-je. Merryl avait-il dit quelque chose à ce sujet ? Si elle fermait les yeux, se réveillerait-elle un jour ? – Elle ne répond pas, c’est normal ? paniquai-je. – Probablement le choc, avança Clorface. – Prisca est complètement inconscient, nous informa Spook. Je ne sais pas ce que Merryl lui a donné mais j’espère que ce n’est pas trop efficace. – La pauvre, fit Scyha soudainement à côté de moi. Elle n’aura jamais la chance de trouver le grand amour. Bien que ses chances ne soient pas très hautes, ce sera complètement impossible si elle meurt. – On se marie dans deux mois, grinçai-je ne supportant plus ses remarques dans une situation aussi critique. – Pardon ? demanda Scyha comme si elle n’avait pas entendu. – J’ai dit, je me marie avec elle dans deux mois. – Comme c’est étonnant… s’exclama-t-elle. Je suppose que tout le monde ne peut pas avoir la même chance que moi et de trouver quelqu’un d’aussi formidable que mon Darrenichou. – Encore heureux, grommelai-je. Hé, Tynelä, tu m’entends ? Je sais que c’est difficile mais reste éveillée, s’il-te-plait. Pense… à notre mariage. Nos deux familles réunies… Tu te rends compte, ce sera la première fois que ton frère et moi nous rencontrerons. À chaque fois il m’a évité, ou lui te dira le contraire, que c’est moi qui l’ai évité. Mais on ne peut pas manquer de se croiser à notre mariage n’est-ce pas ? Tu crois qu’il interrompra la cérémonie pour me dire que tu mérites mieux que moi ? Et il y aura aussi Lavande, la smourbiff que tu as adopté quand tu avais neuf ans. Ta mère a dit qu’elle avait eu des petits, tu vas pouvoir enfin les rencontrer. J’espère juste qu’ils ne décideront pas de sauter dans le gâteau… Et je continuai inlassablement de lui parler, tentant de la maintenir éveillée. Elle clignait des yeux, ayant de plus-en-plus de mal à se concentrer, mais elle continuait de tenir bon. J’avais besoin qu’elle s’accrocha. J’avais besoin d’elle. – C’est vraiment n’importe quoi, s’éleva la voix de Zédeyque. En plus c’est super mal écrit. |
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Elle était en train de lire par-dessus l’épaule d’Equifgnamus. – Mais je ne vous permets pas, s’offusqua aussitôt Scyha. Mon Darrenichou est le meilleur, le plus grand aventurier de tous les temps, et c’est toujours un privilège pour ceux qui ont la chance de lire le récit de ses aventures. Vous devriez être d’autant plus honorés d’avoir pu en vivre une à ses côtés et bénéficiés de son expérience et de sa protection. – Vraiment fêlée celle-là, décida Zédeyque. Et je suis une grande lectrice mais je n’ai jamais entendu parler d’un auteur appelé Equifgnamus. En même temps, si son écriture est proche de ce que je vois actuellement, même un enfant de sept ans ferait mieux. Scyha bondit pour l’étriper physiquement. Elle fut retenue brusquement par une poigne de fer qui s’abattit sur son épaule. – Assez, trancha la voix de Merryl. L’instant d’après, les secours débarquèrent. Je fus rapidement éloigné de Tynelä et ne put voir ce qu’il advenait d’elle. Prisca était pris en charge par une autre équipe. – Elle va… Ils vont s’en sortir ? demandai-je dans le vide. Personne ne me répondit. Stabilisés, les deux blessés furent évacués. Une femme marquée du sceau de l’équipe des soigneurs s’approcha de Merryl. Je suivis le mouvement. Peut-être aurais-je des nouvelles ? – Teknögrade Merryl, commença-t-elle. Souhaitez-vous terminer l’évacuation ou est-ce que je traite vos blessures ici dès à présent ? À cet instant, d’autres soldats débarquèrent. – L’équipe d’intervention est arrivée, constata Merryl, nous pouvons évacuer la première équipe. – Ah ouais, un teknögrade, siffla Spook admiratif en le détaillant des pieds à la tête. – Spook, ordonnez vos camarades et procédez à l’évacuation, demanda Merryl. – À vos ordres ! salua Spook avant de partir informer les différents membres de notre escouade dispersée. – Vous êtes un teknögrade, murmurai-je encore hébété par la suite des évènements. Pas une expérience échappée d’un laboratoire… – En effet, fit Merryl. – Toi tu as disjoncté, se désola Zédeyque de ma personne. Elle me prit le bras et m’entraîna à la suite de Spook. Merryl tourna son attention vers Scyha et Equifgnamus, sans doute pour les enjoindre à sortir également. – Fais gaffe à ce que tu dis, me susurra Zédeyque. C’est un teknögrade, comme tu l’as si bien souligné, il pourrait facilement t’apporter des ennuis s’il prenait offense. J’étais complètement dépassé, et n’en avais strictement rien à faire. J’étais en vie, et tout ce qui m’importait c’était que Tynelä le demeurât également. Nous grimpâmes dans le véhicule léger mis à notre disposition pour nous ramener à la surface. Le chemin du retour se fit en silence, nous étions tous éreintés, aussi bien physiquement que moralement. – Mais si vous êtes un teknögrade, réalisai-je alors que je retirais mon masque, ça veut dire que vous êtes venu en remplacement de Waldeck. Alors à quoi ils servaient ces deux-là ? Zédeyque me donna un coup de coude pour me faire taire, avant que je ne m’enfonçasse davantage dans ma bêtise, mais les mots étaient déjà sortis. – Je n’ai pas une grande connaissance des milieux souterrains, répondit Merryl, mais j’étais le seul disponible. Au vu des informations que nous avions déjà en notre possession, nous soupçonnions qu’une équipe habituelle ne serait pas forcément suffisante, et qu’il était plus prudent de la renforcer. Je nous imaginais parfaitement bien marcher jusqu’au nid des araignées primordiales et tous nous faire hacher menu avant de finir dans leur estomac. – Scyha est bien plus calée sur le sujet, compléta Merryl. – Donc Equifgnamus ne sert à rien, conclut Spook. Merryl empêcha une nouvelle fois Scyha de s’en prendre à l’un d’entre nous. – Ce n’est pas l’avis de Scyha, déclara diplomatiquement Merryl. À comprendre : pour avoir l’expertise de Scyha, il était nécessaire de se trimballer Equifgnamus. – Elle est minotaurement balèze, complimenta Zédeyque qui l’avait traitée de folle il n’y avait pas une heure. Les deux n’étaient pas nécessairement incompatibles je supposais. – Elle pourrait être teknögrade si ce n’était pour Equifgnamus, admit Merryl. – En quoi c’est gênant ? s’enquit Spook curieux. – Il n’est pas néogicien et elle ne garderait pas un secret vis-à-vis de lui, déclara le teknögrade. J’étais certain qu’il y avait d’autres raisons, mais décidais prudemment de me taire sur le sujet. – J’aurais pu moi-même devenir teknögrade, affirma Equifgnamus, mais il serait dommage de perdre tout ce talent que je possède pour la magie. – Oh oui, ce serait une perte immense, renchérit Scyha. Nous étions trop épuisés pour nous battre sur ce sujet. Ou résignés à ne pas les faire changer d’avis. Je me demandai ce que cela faisait de vivre dans un monde à part où les rêves étaient considérés comme des réalités. Ce devait être fantastique. En même temps, le rêve d’Equifgnamus ne pouvait être vrai que parce que Scyha assurait le coup derrière et le vénérait en même temps. Je la comprenais encore moins que lui, qui somme toute, ne faisait que se vanter et utiliser les autres à son avantage pour tirer la couverture à lui. Par cet aspect, il était un type des plus banals. Une fois sortis, nous ne savions que faire avec nous-mêmes, privés de chef comme nous l’étions. Equifgnamus et Scyha partirent bruyamment et joyeusement, narrant entre eux et avec grand renfort de gestes le récit de l’aventure d’Equifgnamus, le sauveur des pauvres mais valeureux soldats, terrassés par une centaine d’araignées primordiales, mesurant plus de trente mètres d’envergure et détentrices d’un poison mortel. – Il arrive vraiment à publier des livres ? s’étonna Zédeyque. – Dans tout ce bordel, c’est ça qui te choque ? fit Durpin. – Quoi ? se défendit Zédeyque. On sait déjà comment il s’en sort, et que ça serait classé dans la fiction, mais son style d’écriture est affreux et bourré de fautes qui dépassent l’orthographe et la grammaire. – Deux possibilités, intervint Grömil. Soit ce n’est publié qu’en un exemplaire… – Peut-on vraiment parler de publication dans ce cas… commenta Clorface. – Soit, comme pour tout le reste, c’est Scyha qui fait tout, conclut Grömil. Merryl revint vers nous à ce moment-là, coupant court à notre discussion. À présent que nous savions qu’il était teknögrade, c’était comme si nous étions devenus hyper attentifs à sa présence. – En route, nous ordonna-t-il. Retour à la base. Nous grimpâmes sans un mot dans le transport qui nous était dédié. – J’ai eu un premier avis des médecins, nous annonça-t-il une fois en route. Nous étions suspendus à ses lèvres. J’en oubliais un instant de respirer. Tynelä… ? – Les brûlures de Prisca sont importantes mais il devrait s’en sortir. Les médecins pensent qu’il lui faudra néanmoins un mois et demi de convalescence si ce n’est plus. Brager est en train d’être opérée. Les médecins pensent qu’elle devrait survivre mais rien n’est certain. Des nouvelles plus définitives devraient être données demain. Vous pouvez compter sur trois jours de repos minimum avant d’être soit re-dispatchés, soit recevoir un nouveau commandant. Aucune décision n’a été prise à ce stade, vous serez tenus informés en temps utile. Merryl se tourna ensuite vers moi. – Carenileni, après avoir été vus par les médecins, un aide vous conduira auprès de Brager. – Merci, déclarai-je vivement et une partie du poids s’ôta de mes épaules. Tant que nous n’étions pas mariés, en théorie et administrativement, ce n’était pas un droit que je possédais. Merryl avait intercédé en ma faveur. Il n’avait pas dû trop prendre mal mon commentaire sur l’expérience de laboratoire. Il restait néanmoins un personnage sombre et mystérieux, qui n’était vu que s’il voulait l’être. De ce côté-là, il remplissait bien le cliché du teknögrade. Waldeck y répondait également, même si sa manière d’être était différente. Le résultat était le même. On ne savait rien d’eux. Et on ne pouvait que constater leur supériorité écrasante. – Heureusement que ce n’était qu’une mission de reconnaissance, finit par marmonné Lorheff brisant le silence. L’absence de bruit en-dehors des missions semblait le déranger. Quand il ne parlait pas, il fredonnait constamment. – Vois le bon côté des choses, lui répondit Spook. Au moins le commandant ne pourra pas te reprocher de déclencher une catastrophe en faisant trop de zèle. – Je préfère le zèle de Lorheff que celui d’Equifgnamus, déclara Parrot. – Rien que son nom est une galère à prononcer, opina Zédeyque. – Meunier. Nous nous tournâmes vers le teknögrade qui venait de prendre la parole. – Son vrai nom c’est Darren Meunier. |
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Scène bonus #12 Darren avança avec prudence et une certaine incertitude dans les lieux. La salle était décorée avec simplicité dans des tons bleu pastel et lilas sur un fond blanc. Un brouhaha régulier s’élevait des personnes présentes, rassemblées près du buffet qui s’étirait en un gigantesque U. De l’autre côté s’affairait des serveurs, plaçant de nouvelles denrées ou servant des verres. L’attention de Darren était concentrée sur deux personnes en particulier. Cependant, il n’était pas devenu teknögrade parce qu’il était inattentif, aussi se tourna-t-il rapidement quand il constata l’avancée d’un homme dans sa direction et ayant visiblement l’intention de s’adresser à lui. Ce qu’il ne prévit en revanche pas fut le bras posé au-dessus de ses épaules avec familiarité. Il dût résister à l’envie de prendre ce membre offensant et de projeter loin de lui la personne à qui ce bras était rattaché et qui l’aborda ainsi : – Bonjour l’ami, un peu en retard n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas grave. Commence donc par prendre un verre. Et il chercha à l’entraîner vers le buffet. Darren se défit de sa prise. – Non merci, répondit-il avant de retourner son attention vers ses cibles. Cela ne refroidit pas les ardeurs de l’autre homme pour autant. – Oh bien sûr, fit-il en remettant son bras au même emplacement. Darren se demanda vaguement s’il était acceptable de séparer le membre inconvenant du corps de l’individu. Il dût se résigner à la conclusion que cela serait impoli. – Je m’appelle Gabin, poursuivit l’homme. Il le poussait à présent dans la direction qu’il souhaitait prendre, aussi Darren se laissa faire. Sans lui arracher un bras. – Je peux t’introduire, fit Gabin. – Je n’ai pas besoin d’introduction, répondit Darren. – Et j’ai tout ce qu’il faut pour passer un bon moment, affirma l’intrus. Darren ne voulait même pas savoir ce qu’il avait en tête. Heureusement, ils étaient arrivés à destination. – Brager, Carenileni, salua Darren. – Teknögrade Merryl, se réjouit la jeune femme. Le bras de Gabin disparut aussitôt de son emplacement et sa figure prit une teinte grisâtre. L’attention des personnes à proximité se concentra sur Darren. – Je suis heureux que vous vous soyez rétablie, énonça le susnommé. – Il est également agréable d’être présente à mon propre mariage, fit Tynelä Brager. Vous m’avez sauvée la vie et je vous en remercie. – Ah oui, merci beaucoup d’avoir sauvé ma fille, opina l’un des hommes. – Je n’ai rien fait de particulier, éluda Darren. Le jeune couple échangea un regard interrogateur avant de laisser tomber l’affaire. – En tous cas, nous sommes ravis que vous soyez venu, affirma la mariée. – J’étais disponible, répondit Darren. Et je crois qu’il est d’usage d’offrir ses félicitations. Sa mission accomplie, Darren était prêt à quitter les lieux. – Vous danserez bien avec moi ? suggéra Tynelä. – Ah on ne peut refuser la mariée le jour de son mariage, appuya plaisamment un homme qui, de par sa ressemblance avec le marié, devait être son père. – Si vous le souhaitez, ne s’opposa pas Darren. Sa décision fut accueillie avec une joie bruyante. Tynelä lui prit doucement le bras et le guida jusqu’à la piste de danse. – Vous étiez plus à l’aise dans la mine, s’amusa Tynelä. – Je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de participer à ce genre d’événements, avoua Darren. – Je suppose que l’emploi d’un teknögrade est autrement occupé, nota Tynelä. Je vous comprends, je suis moi-même plus à l’aise dans mon uniforme que sous le feu des projecteurs. J’ai à peine appris à danser pour mon mariage. On va faire une belle paire. Elle était de toute évidence amusée de la situation. Darren plaça ses mains sur sa partenaire et l’entraîna sans hésitation sur la musique. Tynelä ouvrit la bouche dans un cri de surprise qui ne sortit pas. – Vous dansez remarquablement bien, nota-t-elle mélange entre étonnement et joie. Elle n’avait absolument pas besoin de connaître les pas, il la guidait sans faute. – J’ai déjà dû apprendre pour des missions, expliqua-t-il. Ce n’est pas le type de missions que je préfère. – J’imagine, rit sa partenaire. Et vous arriviez à quelque chose ? Parce que ce n’est pas pour vous offenser, mais vous dénotez comme une pustule sur le nez d’un poutruffe. – Je sais faire semblant, répondit Darren. Mais aujourd’hui, ce n’est pas une mission. Tynelä lui sourit, touchée par cette candeur. Le reste de la danse se passa dans un silence agréable puis Darren la raccompagna jusqu’à son époux. Après l’échange de trois banalités, il prit congé et s’éclipsa. Darren n’était pas fâché de partir si tôt. Au fur et à mesure qu’il s’éloignait de la salle, il sentait un poids quitter ses épaules. Un léger signal sonore lui indiqua un nouveau message sur son réceptron. C’était Berkmeër. « Dispo pour un verre ? » Darren aurait volontiers regagné son appartement, mais il était parfois compliqué de croiser les autres teknögrades de rang un alors chaque occasion devait être saisie. Il accepta. La soirée était déjà bien avancée, les rues illuminées par l’éclairage nocturne et le rayonnement issu du dôme constant de rosaphir au-dessus de la capitale. Les gens étaient éparses, certains adultes rentrant de soirée, les enfants endormis dans les bras, d’autres plus jeunes se rendant à la suite des réjouissances. Quelques patrouilles veillaient au bon ordre. Darren en croisa une qui se mit brusquement à courir après avoir reçu des instructions à distance. Le système de caméra s’était bien développé et permettait d’alerter les agents les plus proches de tout incident. Darren poussa une porte et fut soudain assaillit par le bruit. Les gens riaient à gorge déployée, criaient pour se faire entendre, entrechoquaient leur verre avec force… À tout ce brouhaha se rajoutait une bande de musiciens qui donnaient tout ce qu’ils avaient sur leurs instruments. Ils ne jouaient pas faux, c’était déjà cela. Le jeune teknögrade n’eut pas le temps de faire trois pas qu’il fut alpagué. – Non, j’y crois pas, mais c’est Merryl ! – Mais, oui, c’est bien lui. Qu’est-ce que notre mascotte devient ? Et, sans avoir pu placer un mot, Darren se retrouva entraîné à une table où il reconnut la quasi-totalité des visages. – On se faisait justement une réunion entre anciens de Memoria, annonça Axea. – Avec toi on est au complet, acquiesça Cliv. – Qu’est-ce qu’on t’offre à boire ? s’enquit Evgun. – Euh… Vous l’appelez votre mascotte ? couina Noidant. – Ouais, à Memoria il était plus jeune que nous… expliqua Axea. – Il est toujours plus jeune que nous, ha ha ! coupa Cliv. – …mais il s’entraînait avec nous, conclut Axea. Il était super doué. – J’imagine, oui… marmonna Noidant. – C’est vraiment dommage que tu n’ais pas choisi une carrière militaire, exposa Dékk. – Hein ? Euh… paniqua Noidant qui ne comprenait la discussion de moins en moins. – C’est bon, fit Darren avec un signe pour tenter de rassurer le seul qui autour de cette table savait qu’il était teknögrade de rang un. – Tiens je t’ai pris une sambouillante, indiqua Evgun en plaçant ladite boisson devant Darren. – Merci, fit ce dernier machinalement. – Je suis devenue capitaine d’escouade maintenant, renseigna Dékk. – Félicitations, offrit Darren en espérant cette réponse convenable. – Tu vas voir, la prochaine fois c’est moi qui te passerais devant ! renchérit Axea. – Dans tes rêves les plus fous seulement, rétorqua Dékk. Tu seras pour toujours à mes pieds ! – Vous travailler tous dans la même escouade ? s’étonna Darren. Il était rare de rester réuni dans ses assignements. En général, rien qu’à la sortie de l’école les groupes étaient dispersés dans des unités différentes. – Nan, juste ces deux-là, renseigna Cliv. – Et tu deviens quoi toi ? s’enquit Evgun. Tu as perfectionné de nouvelles armes ? Noidant manqua de s’étouffer avec sa boisson. – Rien à grande échelle, répondit Darren qui commençait à s’amuser de la situation. Il sortit son sniper pliable et commença à leur expliquer la technologie qu’il y avait derrière. Ce n’était après tout rien de secret, simplement personnalisé par lui et pour lui. – Cool… se fascina Dékk. – Au moins ça a l’air de te plaire, fut rassurée Axea. Je suis sûre qu’on utilisera bientôt tes inventions. – Hé, pour ce que tu en sais, c’est peut-être déjà le cas, fit remarqué Bombom. Il n’aurait juste pas le droit d’en parler. – Pas faux, acquiesça Axea. – Au fait, du coup tu ne connais pas Menhos, Nhur et Noidant, présenta Cliv. – Tu me croiras si je te dis que Menhos a accepté de se marier avec Dékk? Complètement fêlé ce gars-là, décida Evgun. – Hé ! protesta aussitôt Dékk. – Décidément c’est la saison, murmura Darren. – Tu es devenu bizarre Noidant, s’enquit Bombom. Tu ne te sens pas bien ? – Tout va parfaitement bien, répondit le concerné d’une voix blanche. – Allez viens, je vais te faire prendre l’air, ça te fera du bien, décida Bombom peut convaincu de la réponse. – Au fait tu es venu ici tout seul Merryl ? demanda Cliv. Ça ne te ressemble pas. – Ben alors gamin, tu me poses un grésillon ? s’inséra Berkmeër en prenant appui sur Darren. – Non, j’étais venu le retrouver, répondit alors Darren au groupe en désignat le nouveau venu. Sur ce, je vous laisse, bonne soirée. Et Darren se leva. – C’était cool de te revoir Merryl. – À la prochaine ! La paire n’était pas encore suffisamment éloignée pour ne pas entendre la suite de la conversation de la tablée. – Wow, Merryl connait un teknögrade… – Il doit travailler sur des projets de dingue… – Ça ne m’étonne pas de lui, très doué ce garçon… – Vraiment dommage qu’il n’ait pas choisi le militaire. Il serait devenu teknögrade en un rien de temps je suis sûr… – J’ai besoin d’air, décida Noidant. |
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Mission #13 – Éveil Lorsque je suis devenu une entité dotée de conscience, il n’y avait rien… Pas de lumière, pas d’obscurité, pas de bruit, ni de silence, pas de chaud, ni de froid, aucune forme de saveur, de mouvement, rien ! La réalisation que j’étais dans un cocon de chaleur, juste à la bonne température. Que j’étais bien. Tout doucement, mon milieu se révéla à moi. Un liquide qui était à la fois étrange et familier car il était le seul que je connaissais. Une odeur, un goût, changeant et revenant. Une pression. Qu’était-ce ? D’abord cherchant à m’en éloigner, curieux, je me rapprochai ensuite. Mais il n’y avait plus rien. Étrange… Ce phénomène revint sans prévenir, ni laisser d’explication après son départ. Et soudain… ba-boom, ba-boom, ba-boom… Un battement. Régulier. Une alternation entre son et absence de son. J’aimais cette périodicité. C’était apaisant, rassurant. Petit à petit, je perçus également autre chose que la pulsation, des timbres lointains et indistincts. Enfin je pris conscience du lien. Entre moi et elle. Entre moi et la Créatrice. Nous étions deux et nous étions un. Ce qu’elle sentait, je le sentais. Sa chaleur était ma chaleur. Ce son que j’entendais, c’était d’elle qu’il me venait. Elle était mon tout. – Ne t’inquiète pas mon bébé… furent les premiers mots que je distinguais. Je poussais la paroi qui m’enveloppait, pour lui signifier que je l’avais entendue. Plus le temps passait, et plus ce cocon rétrécissait. Je décidai de profiter allègrement de la place disponible tant qu’il y en avait. J’ignorais pourquoi mon nid rétrécissait, et sans doute aurais-je dû m’en inquiéter, mais je me sentais étrangement bien, comme flottant entre deux mondes. – Je vais nous sortir de là… Sortir me paraissait une bonne idée. La paroi avait beau se distendre sous mes membres, elle revenait toujours se coller à moi. En même temps, j’étais bien ici… – Tu vivras… Ses mots avaient une force derrière eux que je ne saisissais pas. J’étais en vie, et le temps n’était pour moi qu’un concept qui ne me concernait pas. – Maman est là… Épisodiquement, ma Créatrice appuyait sur la paroi qui nous séparait, comme pour me dire qu’elle était là. Ou pour vérifier que j’étais toujours au même endroit. Alors je poussai de mon côté pour m’en rapprocher. Néanmoins, je demeurais éternellement perplexe. Je ne comprenais pas comment elle pouvait être à l’extérieur de la paroi alors que j’étais en elle. – Mais que voilà donc… C’était une nouvelle voix, un nouveau timbre que je ne connaissais pas. Une puissante détonation me fit sursauter. Ma Créatrice appuya aussitôt sur la paroi qui nous séparait pour me rassurer. – Non, non, non, s’affola ma Créatrice. Ça va laisser des traces, il va nous retrouver. Je pensais pourtant les avoir distancés. Il faut qu’on parte plus loin. Vite. Et je me fis aussitôt balloter dans tous les sens. Le mouvement rapide et erratique me fit sentir toute chose. Je ne saurais exactement nommer ce sentiment, mais j’avais envie que cela s’arrêtât. Immédiatement. Mon souhait se retrouva exaucé. Cependant, mon cocon se mit à se contracter et un bruit peu plaisant suivi. – Urgh… Je déteste vomir… Il va falloir dissimuler les traces mieux que ce que j’ai fait jusqu’à présent. Je n’y arriverai jamais… Puis elle appuya de nouveau contre la paroi. – Pas le choix ma grande si tu veux que ton bébé survive. Je donnai un coup pour l’encourager. Cela paraissait rudement important. La route continua mais au moins le chaos avait cessé et ne semblait plus décidé à revenir. Je gardai néanmoins un œil ouvert au cas où. Je distinguais à présent lumière et obscurité qui se succédait sans queue ni tête semblait-il. Ou peut-être était-ce parce que je n’avais pas de queue que cela n’avait pas de sens. – C’est bon, souffla ma Créatrice. Ici, personne pour nous voir et pas de traces pour remonter jusqu’à nous. Ça va aller maintenant mon bébé. Mon bébé. Était-ce moi ? Était-ce mon nom ? Ma Créatrice se référait d’elle-même en « maman ». Était-ce son nom ? Avait-on besoin d’une désignation autre que ma Créatrice et sa Création ? Le monde à l’extérieur de la paroi sembla se calmer un peu après cela. Ma Créatrice continuait de me parler doucement et d’appuyer régulièrement contre la paroi. Je retournai le geste. Mais si elle, semblait se concentrer toujours vers la même zone, je m’efforçais d’atteindre l’ensemble du cocon. Peu importait que ce ne fût pas dans sa zone, elle émettait toujours un petit son de reconnaissance. Après tout, elle était mon monde. Le cocon commençait vraiment à devenir étroit. J’aurais bien aimé que ma Créatrice l’agrandît. Je ne comprenais pas pourquoi elle restreignait ainsi mon espace. En protestation, je poussais encore plus fort que d’habitude sur la paroi. Cela ne changea rien. À un moment, je fus pris de court lorsque ce fut la paroi qui me poussa. Ma Créatrice fut tout aussi surprise si le petit cri qu’elle lâcha était une indication. – C’est normal ça ? demanda-t-elle. Oh, j’aurais dû davantage me renseigner… Mais si je l’avais fait, il s’en serait aperçu… Le mouvement de la paroi continua de revenir inlassablement sans crier gare. Incapable de mesurer l’écoulement du temps, je réalisai néanmoins que ces ondulations étaient de plus-en-plus rapprochées. Ce qui m’importunait davantage, était qu’elles étaient de plus en plus fortes et réduisaient considérablement mon espace vital à chaque instance. Ma Créatrice était de mon avis, les appréciant de moins-en-moins. – C’est censé durer longtemps ? Est-ce que c’est le moment ? Non ça ne peut pas être déjà le moment. Je le sentirai quand ce sera le moment. N’est-ce pas ? Je ne comprenais pas. Elle semblait attendre quelque chose. Personnellement, j’espérais une cessation de ces pressions mais, au vu de leur augmentation en terme de force et de leur diminution en terme de latence, je n’y croyais pas vraiment. Ceci était devenu ma nouvelle réalité. – Jellana Chantebois ? Je sursautai, ma Créatrice également. – Qui êtes-vous ?! demanda-t-elle. Un enfant ? Qu’est-ce qu’un enfant néogicien fait en-dehors du dôme ? Elle avait changé de ton et semblait complètement prise au dépourvu. – Comment es-tu arrivé là ? questionna-t-elle urgemment. Qui est avec toi ? Ils sont loin ? J’ai peut-être encore le temps de fuir. – Je suis seul, répondit obligeamment l’inconnu. Mon nom est Darren Merryl. Nox Lucans m’envoie. – Nox ? paniqua-t-elle. Ça lui ressemble bien d’utiliser des enfants. – À quel âge n’est-on plus considéré comme un enfant ? s’enquit avec curiosité l’Autre. – À quel âge ? Je ne sais pas. Quel âge as-tu ? – Treize ans. – Et bien plus que treize ans. Un silence peu convaincu suivi. – Les néogiciens ne peuvent pas sortir du dôme avant vingt-cinq ans. Alors voilà. On va dire vingt-cinq ans. Une minute, ce n’est pas le sujet. Comment m’as-tu trouvée et pourquoi es-tu ici ? Qu’espère Nox en envoyant un enfant à ma recherche ? – Nox m’a indiqué que vous étiez partie précipitamment, sans laisser d’indice sur la raison de votre départ. Il avait besoin de quelqu’un pour vous retrouver, alors il a fait appel à moi. – À un enfant ? – Si c’est ainsi que vous me voyez, acquiesça-t-il. Mon âge n’entrave pas mes capacités. Je vous ai retrouvée. – Comment ? demanda-t-elle effarée. – J’ai suivi la piste, répondit simplement l’Autre. – J’avais pourtant effacé mes traces, paniqua de nouveau ma Créatrice. Je connaissais tous les protocoles, tous les angles morts possibles, personne ne m’avait repéré en sortant, personne n’aurait pu faire le lien avec moi sur la route. C’est impossible. Je n’ai pas pu être retrouvé délibérément. Par un enfant, qui plus est. C’est juste un coup de chance. Un malheureux hasard. – Il y avait suffisamment d’absence de marques pour remonter jusqu’à vous, affirma l’Autre. – Quoi ? Cela n’a pas de sens. Et maintenant ? – Et maintenant je dois comprendre pourquoi vous êtes partie en catimini et vous ramener à Centralis. – Me ramener à Centralis ? Dans les mains de Nox Lucans ? Lui donner mon enfant ? Hors de question. – Vous allez me tirer dessus ? s’enquit l’Autre avec curiosité. – Je… Je… hésita ma Créatrice. S’il le faut. Mais tu n’es qu’un enfant. Mais il le faut. Puis elle poussa un cri de douleur. Simultanément, mon monde bougeait. – Que se passe-t-il ? s’intéressa l’Autre. – Je… Je crois que c’est le moment ? s’affola ma Créatrice. – Le moment pour quoi ? s’enquit l’Autre. Peut-être aurais-je enfin ma réponse. À cet instant, mon cocon me comprima plus violemment que jamais. – Je… Je vais accoucher ! s’alarma ma Créatrice. |
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– Je n’ai jamais assisté à un accouchement, nota l’Autre tandis que le souffle de ma Créatrice se faisait de plus-en-plus court et que ses cris de douleurs redoublaient. Vous devriez essayer de rester calme. – Calme ?! J’ai les entrailles en train d’être broyées et je devrais rester calme ?! – Je ne crois pas qu’accoucher implique de broyer les entrailles, commenta l’Autre songeur. Comment se répareraient-elles aussi rapidement après ? Ce principe ne suivrait pas les notions de médecine que je connais. Ma Créatrice eut un rire hystérique qui fut coupé par un nouveau cri de douleur. Je la comprenais. Il fallait que cela cessât. – Êtes-vous certaine qu’être prostrée ainsi soit la meilleure position ? s’enquit l’Autre. Elle ne me paraît guère pratique. – Je ne sais pas ! J’ai mal ! Moi aussi. Plus le temps avançait, plus j’étais comprimé. – Il n’y a personne d’autre que moi aux alentours, expliqua l’Autre. Au mieux vos hurlements feront venir un aventurier égaré. Je ne sais pas si cette personne sera d’une plus grande utilité. – Je sais, je ne voulais pas être trouvée… souffla-t-elle difficilement. – Vous devez bien avoir un plan pour vous débrouiller toute seule dans ce cas, décida l’Autre. – Les femmes font ça depuis des générations…, lâcha-t-elle. Ça ne doit pas être si compliqué… – Si ce ne sont par des guérisseurs ou des médecins, elles sont généralement au moins assistées par d’autres femmes. – Ça doit bien… arriver… – Certainement, acquiesça l’Autre. Vous êtes présentement dans ce cas après tout. J’ignore cependant la procédure à appliquer. – Il faut… Il faut que le bébé sorte, décida ma Créatrice. Je ne comprenais pas bien ce qu’il se passait à l’extérieur, et je ne distinguais plus correctement ce qu’il se disait car la douleur se fit intense. La compression devenait insupportable. Il fallait que cela cessât. Mais mon supplice dura une éternité. Et lorsque cette éternité prit fin, une autre commença. Je brûlais de l’intérieur. La sensation était insoutenable. Plus rien d’autre n’existait que cette douleur ancrée au plus profond de moi. Je hurlai comme jamais je n’avais hurlé. – Et voilà, fit l’Autre une fois le calme miraculeusement retrouvé. La violence du feu avait disparu, mais respirer demeurait un acte étrange et encore douloureux. – Je crois que c’est bon, poursuivit l’Autre. En tout cas, ça ressemble à un bébé. Sa voix était plus proche de moi qu’elle ne l’avait jamais été. – Vous en revanche, vous n’êtes pas bien en point, conclut l’Autre. Vous aviez raison quand vous disiez que vos entrailles étaient broyées apparemment. Je me demande comment les autres femmes font pour survivre. Je ferai des recherches en rentrant. – Je ne veux pas mourir… énonça faiblement ma Créatrice. C’était la première fois que j’entendais le timbre de sa voix sans la distorsion du cocon. Je croyais bien que je préférais l’entendre quand j’étais à l’intérieur. Je réalisai brutalement que notre lien avait été coupé. Je commençai à pleurer avant de réaliser que j’étais collé tout contre un autre corps chaud qui me tenait fermement. Ce n’était pas ma Créatrice, mais peut-être pouvais-je créer un nouveau lien. De plus, j’avais maintenant beaucoup plus de place pour évoluer. – Je n’ai ni les connaissances ni les moyens de vous sauver, énonça l’Autre. Et vous perdez trop de sang pour qu’il en aille autrement. – Mon enfant… la voix de ma Créatrice se faisait de plus-en-plus lointaine. Pourtant, la tache floue qui devait représenter son corps ne bougeait pas. – C’est terminé, il n’y a plus que toi et moi, annonça l’Autre. Elle n’avait pas de manuel pour l’accouchement, je suppose qu’elle n’en a pas un non plus pour s’occuper d’un nouveau-né. Après un léger silence contemplatif, il poursuivit : – Dans le doute, je vais fouiller ses affaires. Je me retrouvai soudainement loin du corps chaud. Non. Pas encore. Comment pouvais-je créer ce lien s’il s’éloignait ? Ce nouvel espace était peut-être plus grand, mais il avait son lot d’inconvénients. En plus, j’avais froid. – Ne pleure pas, s’éleva la voix de l’Autre. Pourquoi pleures-tu ? Ce serait plus simple si tu pouvais parler. Il me reprit dans ses bras, sa chaleur revint alimenter ma chaleur. Je cessai de crier. – Donc il ne faut pas te poser, déduisit l’Autre. Je suis pourtant certain que les bébés ne sont pas portés constamment. Il continua sa tâche de chercher ce fameux manuel, cependant il effectua tout ceci en me gardant contre lui. – Rien, dut-il se résoudre. Tu ne pourrais pas grandir un peu plus vite ? Je saurais faire survivre un enfant, mais toi, je n’en suis pas sûr. Ou te transformer en griffon. Je sais aussi m’occuper d’un griffon… Et bien en route pour Centralis. Il n’y a rien ici qui pourra nous aider. Envelopper dans du tissu et collé contre lui, nous nous mîmes en mouvement. Le monde s’ouvrait désormais à moi. Je regardais tout avec curiosité. Jusqu’à présent, je connaissais la lumière et l’obscurité. Je découvrais maintenant les couleurs. Et quelles étaient belles et chatoyantes. Un souffle un peu frais qui venait me caresser la peau. C’était le vent qui me saluait. Un ensemble de sons qui tintaient, qui n’avaient jamais traversé la paroi de ma Créatrice. Tant de découvertes qui m’attendaient. Et un nouveau Protecteur. J’avais faim. Où était ma nourriture usuelle ? D’habitude, tout était toujours là. Ma Créatrice m’offrait tout ce dont j’avais besoin. Mon monde avait été tout ce qui m’était nécessaire. Comment trouver de quoi me sustenter dans ce nouveau monde si vaste ? Mais j’avais un atout. Si ma Créatrice m’avait prodigué les soins jusqu’à présents, sans nul doute mon Protecteur devait faire de même. Cependant, il ne réagissait pas. Je tentais de le toucher pour lui signifier que j’étais là, comme avec ma Créatrice, mais mon corps était trop emmailloté pour bouger. Comment faire ? Ma bouche s’ouvrit de dépit et un son en sortit. Mon Protecteur tourna brièvement son attention vers moi. Voilà, je l’avais ma solution. Je criai du plus fort que je pus. Là, il ne pouvait plus m’ignorer. – Pourquoi pleures-tu ? demanda-t-il. « J’ai faim ! » – Quand est-ce qu’un bébé apprend à parler ? « J’ai faim ! » – Si je te parle, tu gagneras plus vite en vocabulaire ? « J’ai faim ! » – Si tu ne peux pas parler, comprends-tu au moins ce que je dis ? « J’ai faim ! » – Je ne me souviens plus de comment c’était quand j’avais ton âge. Essaye de t’en souvenir, toi, ça pourra être utile. Et tu me feras un rapport quand tu sauras parler. « J’ai faim ! » – Enfin, apparemment te porter n’est pas suffisant. Est-ce que tu peux arrêter de pleurer s’il-te-plaît ? Il est toujours plus difficile de réfléchir quand c’est bruyant. « J’ai faim ! » – Dans les fonctions de base, il y a dormir, avoir chaud, manger et être sain. Si tu voulais dormir, tu ne te serais pas réveillé pour commencer. Tu viens de naître, tu ne peux pas déjà être malade. N’est-ce pas ? « J’ai faim ! » – Tu n’as pas l’air malade. On va dire que non. Il posa une main contre mon visage. – Et ton corps n’est pas froid, même un peu chaud. Donc tu n’as pas froid. Mais peut-être que tu es malade ? Je vais surveiller ta température. Il ne faut pas que ça monte trop. « J’ai faim ! » – En conclusion, tu as peut-être juste faim. Moi aussi. Le problème c’est que je n’ai que des provisions pour adultes. Si je te donne de la viande séchée, tu manges ? Un bout fut présenté devant ma bouche. Curieux, je cessai de pleurer pour le téter. – Tu n’as pas de dents. Tu n’arriveras jamais à bout de ce morceau à force de salive. Tu seras mort avant. Normalement, un nourrisson se nourrit du lait de sa mère. Sauf que tu n’as plus la tienne. Il doit bien y avoir un équivalent pour ceux qui perdent leur mère. C’était une saveur que je ne connaissais pas. – Ou peut-être qu’il faut une autre mère pour s’occuper de toi. Auquel cas tu es mal. Nox m’a demandé de rester discret. Cela ne calmait en rien ma faim. – Et un néogicien de treize ans avec un bébé néogicien en-dehors de Centralis ce n’est pas discret. Dans ce cadre, faut-il préserver la survie de l’objectif ou le secret ? Mais cela m’occupait. – Ta survie n’a pas l’air critique pour l’instant. J’ai encore le temps d’y réfléchir. Essayons de te trouver à manger, sans se faire repérer par un Olydrien. Mais j’avais faim. – Non, je n’arriverai pas à traire une Olydrienne discrètement. Mais c’était nouveau. – Mais on trait aussi les vachonnes. Tu boirais du lait de vachonnes ? Tu ne sais toujours pas parler ? Bon, on va essayer. |
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Mais j’avais faim. Je lâchai le bout de viande, prêt à pleurer à nouveau quand le monde se remit à défiler. J’hésitai. J’avais toujours faim. Je pleurai. Mon Protecteur me remit le morceau dans la bouche. Je le tétai. Il n’y avait toujours rien qui en sortait. J’aimais bien le goût qui s’en dégageait. Je continuai de téter plus fort. – Bien, j’ai trouvé la vachonne, et personne aux alentours. Il y a un petit qui tète auprès de celle-ci. Elle doit donc produire du lait. Il y a plusieurs pis, si je te mets à côté, tu sauras te débrouiller ? Le morceau me fut retiré de la bouche. Hé ! Si je ne pouvais pas manger, au moins pouvait-il me laisser… Ma pensée fut interrompue quand un autre morceau fut présenté à portée de mes lèvres. Je tétai par automatisme. Je préférai le morceau d’avant. Soudain, un liquide chaud jaillit dans ma bouche. Ça c’était bon. Et mon estomac se remplissait joyeusement. – Ça a l’air de fonctionner. Et la vachonne ne semble pas mal le prendre non plus. Hé, non petit, tu ne peux pas jouer avec le bébé. Il y eut une brève sensation duveteuse et humide près de ma joue. Je continuai ma tâche avec assiduité. – C’est bien. Repus, je lâchai le morceau. – Et voilà. La question est : est-ce que je trais la vachonne pour te constituer une provision de nourriture, ou est-ce qu’il faut prévoir de trouver des vachonnes tout le long du trajet ? Le lait ne se conserve pas bien. Ça risque de ne pas être très sain. Et les bébés sont fragiles. J’espère juste que tu n’auras pas trop besoin de manger. Je me sentais barbouillé. Quelque chose de bizarre se passait dans mon estomac. Cela remuait. Et cela ne semblait pas décidé à rester en place. Finalement cela remonta et je régurgitai. – Hé, c’est quoi ça ? demanda mon Protecteur. Ce n’était pas bon. Pas bon du tout. Beurk. – Si tu as vomi, est-ce que ça veut dire que ce lait n’est pas compatible à ton organisme ? En même temps, tu sembles quand même en avoir gardé la majeure partie. Es-tu malade ? Maintenant que c’était fait, je me sentais beaucoup mieux. Mon Protecteur m’essuya la bouche. Mon pouce y trouva alors son chemin tandis que je sentais mes paupières se fermer. Soudainement, j’étais tout seul. Il faisait sombre et froid. Je pleurai pour appeler mon Protecteur. J’eus beau m’égosiller, il ne vint pas. Ce ne fut pas le cas du reste du monde. Autre chose m’agrippa dans un cri perçant. C’était froid, c’était dur. Je voulais mon Protecteur. Mon estomac sembla rester derrière tandis que mon corps s’élevait. Je n’aimais pas du tout, du tout, cette sensation. Je préférais quand mon Protecteur me tenait dans ses bras, me berçant au rythme de son pas. Cette soudaine ascension était bien trop brutale. Mon nouveau transporteur se retrouva brusquement malmené et moi avec. Il poussa un cri de douleur et moi avec. Il commença à chuter à une vitesse vertigineuse et moi avec. Son corps rencontra un arbre avec violence et préjudice. Sans moi. La couverture qui m’entourait était restée empêtrée dans ses griffes tandis que mon petit corps prenait une autre direction. Ma trajectoire se finit dans les bras de mon Protecteur. Il était revenu. Je continuais de crier un peu pour la forme. Il n’avait qu’à pas m’abandonner. – Quelle idée d’aller jouer avec un hippogriffe. Tu es bien trop jeune et fragile pour ça. Ce sont probablement tes pleurs qui l’auront attiré. La prochaine fois que je te laisse, essaye d’être plus discret. J’aurais préféré avoir un lien avec lui comme avec ma Créatrice. Au moins étais-je assuré de sa présence continuelle. – J’ai récupéré des informations au village voisin, ils avaient des nouveau-nés. Je n’ai pas pu leur parler directement, mais j’ai pu les observer quelques heures. Et je leur ai pris quelques affaires. Mais il avait fini par revenir, je pouvais donc lui pardonner je pensais. – Ce n’est pas correct de voler, mais parfois c’est essentiel. Je t’apprendrai. J’avais faim. – Quand tu seras plus grand. Encore. Moi qui croyais ce problème derrière moi. – Tiens, je leur ai pris du lait de cochoboule, certains en donnaient aux petits. Un morceau me fut présenté une fois de plus. Son goût était différent des précédents. J’aimais moins bien. Et le goût qui surgit avec le liquide avait aussi une nouvelle particularité. C’était mieux avant. – Ça y est, tu as fini ? Mon estomac avait un trop plein qui ressortit. Beurk. – Les autres bébés aussi ont eu cette réaction et tout le monde avait l’air de l’attendre. J’en déduis que c’est un comportement normal. Un peu plus tard, ce fut l’autre extrémité de mon corps qui décida de laisser sortir du liquide. Contrairement à ma bouche qui était à l’air libre, le côté opposé était coincé dans un bout de tissu. Le liquide ne s’écoula donc pas dans la nature mais vint imprégner le tissu qui devint humide. Ce nouvel état de mon environnement était tout aussi désagréable que l’acte de régurgiter. C’était même pire car la sensation ne disparaissait pas. – Pourquoi pleures-tu encore ? Tu as mangé il y a peu. Ah. Il faut te changer. L’air froid s’abattit soudainement sur ma peau nue. Mes cris redoublèrent. Mon Protecteur m’ignora cette fois complètement et poursuivit sa tâche. Un instant plus tard, j’étais au chaud et au sec. Et de nouveau contre lui. – On dirait que tes pleurs ont de nouveau attiré la faune locale. Te bâillonner me parait risqué, fragile comme tu es. Essaye quand même de faire un effort. Une fois que je t’ai entendu pleurer, j’ai compris que tu voulais quelque chose. Donc tu peux arrêter. Et j’ai une bonne ouïe, donc ce n’est pas la peine de pleurer si fort. Les mouvements se firent plus secs, plus rapides. Que se passait-il encore ? J’étais pourtant dans les bras de mon Protecteur. – Il faudrait que je puisse me libérer les mains, te tenir constamment est très limitant. J’aurais bien souhaité pouvoir bouger par moi-même mais mon corps était empêtré dans un cocon de tissu. Un cri puissant traversa l’air. – Un dragon de Fosphörgos? Que fait-il ici ? Tout devint encore plus flou que cela ne l’était, le vent fouetta mon visage plus fort que jamais. J’aurais hurlé si ce même souffle ne m’avait pas coupé la voix. Enfin, tout s’arrêta. Il ne restait plus dans l’air qu’un bruit de souffle en va et vient ainsi qu’un battement sourd. Je réalisai bien vite que ces deux sons provenaient de mon Protecteur. Sa respiration était saccadée et son cœur avait un rythme plus élevé que celui qui me berçait habituellement. – On l’a échappé bel. Au moins ce dragon de Fosphörgos a dû s’occuper des Gouinfrosaurus pour nous. Le ba-boum, ba-boum, commençait à se calmer et moi avec. Mon estomac était rempli, j’avais chaud et mon Protecteur était là. Tout était parfait. – Un harnais c’est quand même plus pratique. Que se passait-il ? Je me retrouvais soudainement balloté. – Et voilà. Maintenant, j’ai les mains libres. Qu’est-ce que tu en dis ? Ça reste confortable pour toi ? Hein ? Bizarre. J’étais contre mon Protecteur d’un unique côté. Beuh. Bof. Tant que j’étais avec lui. Après ce léger bouleversement, le rythme redevint normal. Je pleurai quand j’avais faim, il me donnait à manger, il me nettoyait quand il y avait besoin, mes paupières se fermaient quand elles avaient envie de se clore. Une lumière rosée qui traversait l’épaisseur de mes paupières les fit se rouvrir. – Bienvenue à Centralis. Ce que tu vois c’est le dôme de rosaphir. Il est dangereux pour les olydriens, mais toi, comme tu es néogicien et que l’un de tes ancêtres avant a survécu à l’injection du sérum N01 contenant de la rosaphir, tu en es prémuni. C’était beau… Je voulais toucher ! On se rapprocha de la paroi et je sentis l’excitation me gagner. Et d’un coup nous fûmes de l’autre côté. Hé ! Mais je n’avais rien eu le temps de voir ! Ou de faire ! Ou de toucher ! – Pourquoi est-ce que tu pleures ? Traverser est totalement indolore. Je voulais retourner sous la lumière ! Et nous nous en éloignions ! – Calme-toi, je te ferai passer un examen au secteur médical de toute manière. Il faut t’enregistrer. Mais d’abord, il faut contacter Nox, pour savoir de quelle manière il souhaite procéder. Beuh. – Il m’a donné des coordonnées où le rejoindre. En route, cette mission est bientôt terminée. |
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