CHAP 42
Sam était passée en pilote automatique, ses jambes renforcées la propulsant à plusieurs dizaines de kilomètres par heure dans le couloir. Elle percevait toujours des bruits d’explosion et de tirs en provenance manifeste de la chambre où elle avait laissé un peu plus tôt Alexandra, Geniet et la voyante évanouie.
Myss Lily avait quant à elle abandonné l’idée de rattraper sa maîtresse et pris un chemin détourné pour, au cas où, contourner l’adversaire et le prendre en tenaille.
Le système anti incendie avait fini par rendre l’âme, et seules de grosses flaques témoignaient de l’arrosage massif de l'étage. De la fumée et une désagréable odeur d’ozone baignait les lieux qui n’étaient plus éclairés que par les ampoules vertes des blocs autonomes indiquant les sorties de secours.
Quelques plaintes provenant de derrière les portes closes, et probablement barricadées des chambres et bureaux, prouvaient que des êtres vivants se terraient à l’abri du champ de bataille.
La soubrette arriva enfin à un angle lui offrant un point de vue sur l’entrée de la chambre où ses amis étaient restés pour les attendre. Un homme en blouson de cuir, la capuche de son sweat noir rabattu sur la tête tirait des rayons d’énergie vers l’autres côté du couloir à l’aide d’un jouet en plastique.
Un petit sourire aux lèvres, elle commença à chanter de nouveau pour invoquer la pluie de pétales soporifiques qui avaient neutralisé les sbires un peu plus tôt.
Alors que Death Toy commençait à vaciller sur ses jambes, elle sentit soudainement une très vive douleur au niveau de ses reins, interrompant son chant. Baissant les yeux, elle vit, sans se rendre compte de ce que cela signifiait, une lame effilée et couverte de sang sortir au niveau de son nombril, à travers son tablier blanc sur lequel fleurissait une tache écarlate…
De son côté du couloir, Sam ignorait le drame qui se jouait à quelques dizaines mètres. Quand elle vit le tireur fou vaciller et s’appuyer au mur, ses tirs se perdant au plafond, elle fonça sur lui de toute la puissance de ses membres mécaniques. A à peine deux mètres de l’homme en noir qui commençait à se redresser, son regard fut attiré par une petite silhouette en tablier blanc qui chuta la tête la première au sol à l’angle opposé du couloir.
Emportée par son élan, elle abattit son poing sur le crâne de son ennemi, qui s’écroula, assommé, avant de freiner dans un dérapage incontrôlé du fait de l’eau répandue au sol. La bouche entrouverte, ses yeux rouges brillant de larmes contenues, elle fit un pas en avant, tremblante des pieds à la tête, sa main d’acier aux rouages délicats se tendant vers ce corps étendu, encore trop loin, devant elle.
Un ruisseau de sang rouge vif se mêla à l’eau qui reflétait la lumière glauque des blocs de sécurité, apportant sa confirmation du drame.
Un sifflement aigu sortit de sa gorge alors qu’elle commençait à tituber, les yeux écarquillés, comme quelqu’un ayant abusé de l’alcool. Le sang, ce liquide vital, continuait à s’écouler depuis ce corps étendu, le visage baignant dans l’eau qui se teintait de rose au fur et à mesure. Quelques gouttes brillantes dans la lueur verte, fantomatique, tombaient du plafond et frappaient les cheveux et le dos de l’uniforme noir de la femme étendue, éclatant comme des kaléidoscopes miniatures à l’impact.
Parvenue à la hauteur de cette femme qui avait toujours été là dans les pires moments de sa vie, pour la soutenir et la consoler, et qui maintenant gisait face contre terre, Sam tomba à genoux, un gémissement continu à la bouche. Ses mains tremblantes hésitaient à toucher le corps allongé, son esprit n’attachant aucune importance à ces pieds gainés d’un tissus gris anthracite qui entrèrent dans son champ de vision, ni à cette pointe de sabre d’où gouttait encore quelques perles écarlates qui allaient se mêler aux ruisseaux de sang sur le sol.
Ses deux mains enfin posées sur la tête de Myss Lyli, Sam craqua et ses larmes se libérèrent en même temps que son cri de détresse. Levant les yeux au plafond, elle croisa le regard cruel de l’homme qui se tenait à côté d’elle et qui commençait à redresser son arme. Une voix au loin cria « Il est là ! ». L’homme jeta un rapide coup d’œil et décida de fuir, l’abandonnant là.
Dans la chambre où ils s’étaient recroquevillés, guettant la reprise des tirs de leur agresseur, Alexandra, Geniet et Kristal furent saisis de frissons lorsque le cri déchirant retentit. Prenant son courage à deux mains, Alexandra finit par pencher sa tête pour guetter le couloir. Elle vit un homme au visage enturbanné dans un long tissu sombre ramasser le tireur fou, passer un bras de ce dernier par-dessus son épaule et le traîner vers la sortie.
Une nouvelle plainte désespérée détourna son attention, et elle rampa sur la pile de meubles qu’ils avaient entassés pour bloquer l’accès à la pièce jusqu’à la partie du panneau de la porte que Death Toy avait découpé au sabre laser. Avec mille précautions, elle balaya le couloir des yeux à droite, là où s’étaient dirigés les deux vilains, puis à gauche…
A l’angle, elle devina la silhouette agenouillée de Sam qui semblait soutenir et caresser la tête d’une personne allongée devant elle. Debout à côté d’elle, serrant et desserrant ses poings de frustration, son voisin et fournisseur d'organes se tenait les yeux exorbités, son regard passant de l’extrémité du couloir où avaient fuit Death Toy et le ninja, aux deux femmes à ses pieds.
Ne voyant aucun danger immédiat, Alexandra décida d’aller voir de plus près de quoi il retournait. Basculant par-dessus le panneau de bois découpé, elle chuta lourdement, cognant son épaule blessée contre le sol détrempé. La douleur fut telle que son estomac se vida par reflexe.
Toutefois le tintement annonçant l’arrivée d’un ascenseur à l’étage provoqua une montée d’adrénaline chez elle, l’empêchant de sombrer dans l’inconscience. Le regard braqué sur les portes coulissantes, elle fut soulagée d’en voir sortir une mademoiselle Nya en blouse blanche qui observait atterrée l’inondation et les dégâts. Reprenant rapidement ses esprits, cette dernière aperçu la jeune femme à genoux devant une flaque de vomi et se précipita pour la relever avec délicatesse.
- Mlle Nya : C’est quoi ce bordel ? Que s’est-il passé ?
Basileia : Ils ont attaqué à plusieurs… je vous raconterait après… (désignant les autres au bout du couloir) mais allez vite là-bas : ça craint ! Moi ça va mieux maintenant, je vous rejoindrai.
Après un coup d’œil critique à l’épaule perforée de la jeune femme, l’aide-soignante se précipita vers Sam et Zazoit qui restaient là, terrassés par le spectacle du visage de porcelaine de Myss Lyli que la femme aux bras d’acier et de cuir caressait mécaniquement.
Mlle Nya poussa vivement le jeune homme et s’agenouilla auprès du corps étendu, portant sa main à la carotide de la soubrette et approchant son oreille contre les lèvres bleuissantes de cette dernière.
- Mlle Nya : Elle respire encore ! Vite ! Portez là et suivez-moi ! Sa survie dépend de notre rapidité !
La foudre abattant sur elle n’aurait pas eu plus d’effet ! Sam réagit aussitôt, les pistons et engrenages de ses puissant membres mécaniques s’activant avec frénésie. Attrapant le corps de Myss Lyli, qui pendait comme un pantin désarticulé, elle se redressa et courut derrière l’infirmière qui défonça littéralement les portes d’une pièce immaculée où trônait une table d’opération au chrome luisant sous l’éclairage de la puissante lampe suspendue au-dessus.
D’un geste sûr, Mlle Nya déploya un grand drap vert qu’elle pointa du doigt à l’attention de Sam avant de se mettre à ouvrir frénétiquement les tiroirs et placards qui bordaient la pièce, en retirant une multitude d’accessoires et de flacons.
Alexandra, blême, arriva soutenue par Zazoit au moment où le bip caractéristique d’un électrocardiogramme commença à retentir dans la pièce. Devant leurs yeux, Mlle Nya enfilait une paire de gants chirurgicaux. Face à elle, de l’autre côté de la table d’opération, Sam se tordait les mains d’appréhension.
- Mlle Nya : Put*** ! Je vais pas pouvoir tout faire toute seule ! Où son le chef et les autres ?
Zazoit, qui semblait être le seul encore capable de raisonner normalement du trio répondit :
- Zazoit : Les deux toubibs sont partis en hélico pour je ne sais quelle réunion, un truc qui semblaient important. Mlle Scarlett et moi devions surveiller une étrange patiente couverte de cicatrices… Des assassins nous ont attaqués et… j’avoues que je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé…
- Mlle Nya (braquant son regard su le jeune homme) : Scarlett va bien ?
- Zazoit : Oui, elle est restée là-bas pour surveiller et m’a envoyé voir ce qui se passait.
- Mlle Nya : Allez la chercher immédiatement, qu’elle trimbale sa protégée avec elle si besoin…
Zazoit aida Alexandra qu’il soutenait à s’assoir par terre, le dos appuyé contre un mur et sortit en courant. La sonnerie funeste de l’électrocardiogramme annonçant un arrêt cardiaque retentit derrière lui, lui faisant accélérer sa course.