Il me pria de décrire « le vieux ». Ma mémoire étant excellente, je lui fournis un portrait très détaillé. Au fur et à mesure son visage angélique prenait un teint de craie. Avalant sa salive il repris la parole :
- "bon, alors si je comprends bien vous avez croisé la route d'Antazagonias, conseiller pour le renseignement de Sa très haute Majesté la Reine et dont nous n'avons plus de nouvelle depuis plusieurs jours - de vos propos je déduis qu'il n'a pas survécut à l'attaque que vous avez mentionnée - A t'il pu vous parler de cet artefact ? Il devait vouloir le rapporter ici...Ah ! c'est trop rageant ! Avez-vous trouvé autre chose ? Et cette créature dont le cadavre orne cette table, que pouvez-vous me dire de plus à son sujet ? J'avoue que les bribes de témoignages relevés pour le moment ne donnent guère d'indices... »
- "La gamine avait une sorte de pierre blanche incrustée dans le front... mais quand elle est morte la pierre s'est dissipée"
- Décidément le mystère s'épaissit, j'admire votre détermination : d'autres auraient été trop effrayés pour se confier ainsi à un grand prêtre ! Avez-vous l'impression que cet artefact contrôle vos faits et gestes ? Manifestement non, sinon vous n'auriez pas pu arriver ici. Et pourquoi la pierre de l'enfant s'est-elle dissipée ? Trop de questions et aucune réponse !"
- " Cette pierre doit être liée au poison, aux serpents ou un truc du genre. Je me méfie, je n'ai pas envie de me transformer en serpent ou je ne sais quoi !"
- "très sincèrement, je n'ai aucune idée de ce que peut être cet artefact. Je vais vous faire un laisser passer pour la bibliothèque ésotérique royale qui se situe au sous-sol de l'aile nord du palais afin que vous puissiez faire des recherches. Anselme, le Maître bibliothécaire vous aidera. S'il y a une trace de ce que peut être ce caillou, c'est là que vous trouverez.
Je ne pense pas pouvoir vous aider plus, ce n'est pas mon domaine de compétence : Antazagonias était notre expert en artefact...
Oh, j'oubliais, cherchez du côté des artefacts extraterrestres...
Si vous n'avez pas d'autres questions, je vais aller prévenir sa Majesté"
Je retournais vers mes compagnons, les tripes serrées par l’angoisse. Leurs regards suspicieux se braquèrent un instant sur moi, puis me fuirent, ce qui augmenta mon malaise. Mashan tenta d’intercepter mon mage, mais celui-ci le rembarra poliment et les deux sages quittèrent la pièce. Une demi-heure passa dans un silence pesant de temps en temps interrompu par le grincement de l’armure d’un des gardes restés pour nous surveiller.
Enfin, le plus âgé des deux mages entrouvrit la porte et nous fit signe de le suivre.
Escortés par les gardes, nous pénétrâmes dans une partie du Palais nettement plus cossue et fûmes conduits jusqu'à une antichambre où de nouveau on nous fit patienter, avec quelques rafraîchissements.
Puis une petite armée de serviteurs vinrent récupérer nos capes de voyage, brossèrent nos habits et nous dûmes chausser de fines chaussures de cuir à la place de nos bottes.
Le sergent que nous avions vu plus tôt récupéra toutes les armes encore en notre possession, y compris mes cartes, puis nous fûmes de nouveau guidés par le prêtre, escortés par des gardes en armure d'apparat dans un long couloir fermés par deux lourdes portes de bois massif couvertes de sculptures rappelant les beautés naturelles du continent de Syrial.
Un chambellan en tenue bigarrée nous introduisit dans la salle du trône et nous nous retrouvâmes tout intimidé devant la très charismatique Reine de notre peuple, Saryablööd, assise sur son trône de chêne blanc, cernée de ses principaux Ministres et de sa Cour. Nous nous inclinâmes immédiatement, Mashan manquant de peu de se prendre les pied dans son manteau et de se ridiculiser publiquement.
La souveraine nous pria de lui rapporter notre témoignage des événements. Après notre présentation elle interrogea le plus âgé des deux mages qui précisa : « le corps de l'enfant ne semble pas originaire de ce monde... je ne peux pas affirmer non plus qu'il provienne d'une des lunes d'Arturis... »
Il poursuivit en indiquant qu'il pourrait aussi s'agir d'une sorte de golem au même titre que Tabris, mais qu'aucune trace d'intervention de la technologie n'avait été détectée, pas plus que de magie...
Enfin il insista sur le fait que l'autre porteur de pierre qu'il avait pu voir ne présentait aucun signe de possession par un quelconque esprit venu d'ailleurs.
Des discussions animées entre les divers conseillers éclatèrent immédiatement après ces révélations, certains prétextant qu'il s'agissait d'un nouveau coup tordu de la Coalition ou de l'Empire pour envahir Syrial.
Aucune des personnes présentes ne sembla remarquer la pierre fixée dans mon front.
Quand soudainement une femme, restée plutôt discrète et en retrait jusque-là tomba à genoux en hurlant. Ses yeux se révulsèrent, du sang commença à couler d'une de ses narines. D’une voix sépulcrale jaillissant de sa gorge elle clama :
"L'Innommable a été séparé - ses parties réunir il a commencé - flammes, foudre, domination, il peut tout utiliser - à son retour tout sera dévasté - craignez le retour du divisé"
Elle s'effondra alors au sol en vomissant un flot de sang et de bile mélangés, fut agitée de spasmes quelques seconde et expira dans un long râle glaireux. Deux femmes et un homme dans l'assistance eurent un malaise soudain. Tout le monde s'agitait en tous sens. Les gardes tentèrent d'évacuer la Reine, mais elle refusa obstinément.
Personnellement je ne fus pas émue le moins du monde par cette scène qui aurait terrorisée la plupart de mes contemporains : j’y assistais totalement détachée, comme si tout cela était écrit depuis des siècles. J’interrogeais quand même le jeune mage sur l’identité de cet « innommable », mais il avoua son ignorance en haussant les épaules. Mashan quant à lui, fidèle à ses mauvaises habitudes, était déjà agenouillé près du cadavre, son manteau commençant à éponger la flaque de sang, et demandait qui était cette jeune personne. La reine, dans un calme olympien, lui répondit qu’elle était sa camériste, une humble servante à son service depuis des années. Mashan plaqua ses deux mains sur les tempes de la défunte et se concentra, avant de basculer d’un coup en arrière comme foudroyé.
Après avoir pris quelques secondes à se remettre du choc, il nous expliqua : « j’ai pu rapidement sonder son âme avant qu’elle ne quitte définitivement ce monde, elle m’a dit "L'innommable est l'innommable, début ou fin de tout, mère du chaos, père du néant, lame du guerrier, feu du mage, destruction de la vie, anéantissement de la mort, extrémité de l'infini... il se joue des âmes et des sources, il répand le poison, foudroie les forts, domine les faibles, il dévore les mondes, il s'approche, il est déjà là"… c’est tout ce que j’ai pu en tirer avant de me faire éjecter… j’ai juste eu la vison d’une enfant, assise sur un lit, dans une sorte de temple souterrain aux murs décorés de scènes marines, qui s'écroule inanimée par l'effort qu'elle a fourni pour communiquer. »
A cet instant un bruit écœurant a attiré tous les regards : le cadavre de la camériste s’est mis à exhaler une odeur pestilentielle et a littéralement fondu devant nous, ne laissant au final qu’une peau parcheminée tendue sur un squelette qui ne tarda pas à se briser comme du verre.
Une seconde après le vieux mage et Mashan tombaient dans les pommes, semant encore plus la confusion : des courtisans s’évanouirent, d’autres prirent la fuite, des gardes dégainèrent leur lame en cherchant des yeux un ennemi invisible.
Après un bon quart d’heure de chaos et quelques claques bien senties, Mashan émergea : « Je... je n'ai pas compris... j'ai perdu le contrôle de mon corps un instant... Bon soit, la camériste avait des problèmes mentaux, ce qui est peu probable; soit il y a quelque part une entité maléfique qui s'apprête à envahir le monde...
Majesté le temps presse, je voudrais savoir s'il y a quelque chose de notable en cette personne ou son histoire.
Éclairez-moi et donnez-moi vos ordres pour vous assister dans cette crise. »
La Reine dévisagea un instant le nécromancien, puis le remercia pour son action. Elle n'eu rien de particulier à raconter sur sa camériste : elle était troisième fille d'une maison de basse noblesse, sans avoir jamais manifesté de compétences particulières en magie ou autre. C'était une enfant serviable et dévouée à sa tâche.
Toute assistance étant bonne à prendre, elle accepta ton offre généreuse et, plantant son regard écarlate dans le mien, demanda si Kurash et moi accepterions de nous investir pour trouver la clé de ce mystère.
Le Prêtre qui s'était évanoui, avait lui aussi repris ses esprits et, après un rapide conciliabule avec son confrère, envoya un serviteur lui chercher quelque chose.
Puis s'excusant auprès de la Reine, il demanda à avoir un entretien direct avec Mashan.