CHAP 48
Hôpital Georges Pompidou
Ellana Adoryvi était à la fois surexcitée et paralysée par le stress. Elle se tenait tranquillement devant la banque d’accueil du service administratif, attendant que le charmant jeune homme, dont le badge proclamait qu’il s’appelait Félicien Darkels, assis derrière le comptoir et qui s’échinait à retrouver son dossier dans les confins du serveur informatique relève les yeux vers elle et lui donne le précieux sésame qui l’amènerait enfin là où elle souhaitait arriver depuis le début de ses longues études : un vrai service de traitement des polytraumas.
Son internat en clinique gériatrique provinciale l’avait épuisé : changer des couches et gérer les suites des AVC et autre crise cardiaque fatals dans 90 % des cas n’était pas fait pour motiver la jeune femme qui espérait une activité plus dynamique.
Voir son interlocuteur muet depuis dix minutes se mettre à gratter sa courte barbe en maugréant, puis soudain décrocher un téléphone pour appeler sa chef de service, les sourcils froncés, augmenta le taux d’angoisse d’Ellana. Après un échange à voix basse dont elle ne capta pas le moindre mot, il raccrocha.
- Félicien Darkels : Ah la la ! C’est vraiment la tuile là ! Votre dossier est bien enregistré chez nous, mais ces crétins du service des RH ont encore merdé : ils vous ont appelé en même temps qu’un autre candidat qui est arrivé la semaine dernière et a pris le poste !
Un frisson glacé saisit la jeune médecin.
- Ellana : Que, quoi ? Vous voulez dire que j’ai pas le poste… mais j’ai un courrier signé de chez vous avec écrit « contrat de travail » en haut disant clairement que je démarre aujourd’hui !
- Darkels : Je sais bien Mademoiselle, vous êtes bien sur la liste des membres du personnel, seulement le poste qui devait vous être attribué l’est déjà !
- Ellana : Mais c’est dingue ça ! Et je fais quoi moi maintenant ?
- Darkels : là, j’en sais rien. Ma cheffe va voir avec les différents boss si l’un d’eux a une place dans son service… Sinon vous allez surement recevoir une lettre mettant fin à la période d’essai.
- Ellana (des larmes aux yeux) : Mais j’ai démissionné de mon poste précédent pour venir travailler ici moi !
- Darkels : Je sais, mais je ne peux rien y faire. Ça dépend pas de moi.
Le téléphone se mit à clignoter sur la musique de terminator. Félicien décrocha.
- Félicien : Oui ? Ah ! Heu, vous êtes sûre ? Bien Madame.
Se tournant de nouveau vers Ellana :
- Félicien : Bon, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle : on vous a trouvé une place, mais pas dans ce que vous souhaitiez.
- Ellana : C’est-à-dire ?
- Félicien : c’est un poste qui normalement est réservé à un interne. Les tâches seront basiques. C’est au 4ème étage. Voilà votre badge. Il sert pour les ascenseurs réservés au personnel. Je vous préviens, ce sont des tarés là-haut. Personne n’approche de cet étage !
- Ellana : Mais c’est quoi ce service ?
- Félicien : Un truc avant-gardiste parait-il… ils testent des traitements expérimentaux sur des cas désespérés. Le patron de l’étage est un mec super flippant, et son équipe donne des frissons dans le dos. Enfin, je dis ça, mais je voudrais pas vous effrayer non plus… Dans tous les cas méfiez-vous !
- Ellana : Heu, OK. Je dois voir qui là-haut ?
- Félicien : Montez et cherchez le bureau des infirmières, c’est là qu’ils traitent directement leur administratif. L’ascenseur est là-bas. PERSONNE SUIVANTE !
Ellana fut tellement choquée d’être ainsi chassée de la borne d’accueil qu’elle prit mécaniquement la direction des ascenseurs avant de se rendre compte de l’impolitesse dont Darkels avait fait preuve une fois son poste déterminé. Elle se posait mille questions sur cet étrange service qui s’apparentait plus à un rassemblement de cas désespérés : elle avait bien compris que l’hôpital lui avait trouvé un joli placard pour qu’elle s’y étiole et parte d’elle-même.
La sonnerie d’arrivée à l’étage la tira de ses noires pensées, et elle se concentra sur son environnement, repérant la flèche indiquant la direction à suivre pour rejoindre le bureau des infirmières.
Elle vit alors sortir de ce qui semblait être un petit bloc opératoire une jeune femme blonde en blouse de patient, un drap vert autour de la taille, les joues en feu, suivit de près par une adolescente agile et une étrange femme en habit du 19è siècle dont les bras semblaient couverts d’un mélange de métal et de cuir, un sourire hilare accroché au visage.
- Karumiko : je te jure maman, on a tout fait pour te prévenir, mais tu es partie trop vite !
- Basileia : n’empêche que je viens de me payer la honte du siècle !
- Sam : Ne t’inquiète pas ma chérie, on ne voyait presque rien…
Ellana se mit sur le côté pour laisser passer l’étrange cortège, se disant que cette patiente était bien jeune pour avoir eu si tôt un enfant. Elle reprit son chemin. Parvenue enfin devant la bonne porte, elle frappa légèrement, sa timidité naturelle reprenant le dessus. N’entendant pas de réponse, elle entrouvrit la porte. Plusieurs tables de travail avec ordinateurs, pots à crayons et autres ustensiles indispensables au travail de bureau étaient alignées sur sa droite. Une table basse avec un grand canapé et trois fauteuils crapauds occupait l’espace à gauche. Enfin, au fond, une porte donnant sur des vestiaires, douches et toilettes.
Un grand homme en costume à gilet se reposait étendu sur le canapé, les yeux fermés.
Ne voyant personne d’autre dans les environs, Ellana se décida à secouer l’épaule de l’endormi. A peine eut-elle posé ses doigts sur le coton blanc de la chemise qu’un son semblable à celui d’un gong raisonna. Elle ressentit comme une étrange pression autour d’elle, sensation qui passa rapidement. Ne voyant pas ce qui avait pu se passer, elle mit ça sur le compte de son stress.
Deux yeux, tels des puits sans fond aux parois de lave en fusion capturèrent alors son regard, lui donnant l’impression de chuter dans des abysses infernaux. Prise d’une terreur absolue, elle tenta de hurler sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche et se sentit basculer.
Deux mains la saisirent en douceur, même si elle pouvait sentir la force sous-jacente à cette étreinte, et un sourcil se dressa au-dessus des deux yeux devenus soudainement verts.
- Dr No : Mademoiselle ? Allez-vous bien ?
- Ellana : Oh mon Dieu ! oh mon Dieu !
- Dr No : Hum, en l’occurrence le terme est impropre. Allons, calmez-vous… Lààà asseyez vous dans ce fauteuil. Tenez, prenez un grand verre d’eau.
Ellana saisit entre ses deux mains tremblantes un gobelet remplit à la fontaine proche et le vida d’un trait et osa enfin relever les yeux vers cet homme étrange, aux habits de gentleman anglais, qui l’avait tant effrayée, même si le souvenir commençait à s’estomper.
- Dr No : Bon, qui êtes-vous jeune fille et que venez-vous faire ici ?
- Ellana : Bah, heu, je suis la nouvelle…
- Dr No : La nouvelle quoi ?
- Ellana : heu, médecin
- Dr No (la regardant des pieds à la tête) : Ah… vous êtes certaine ?
- Ellana (pâlissant et prenant des papiers dans son sac) : Tenez, voilà les papiers, ils m’ont dit de venir directement ici en bas… A priori la cheffe des RH a validé avec le chef de service.
- Dr No (poussant un soupir) : Hum, je vois…
Ellana vit l’homme commencer à lire attentivement la liasse de feuilles imprimées.
- Dr No : Vous savez que ce n’est pas le service prévu sur ce contrat ?
- Ellana : Oui, mais il y a eu un problème et le poste est déjà pris
- Dr No : Je vois… ils vous ont envoyé au placard…
- Ellana (dépitée) : Oui, c’est ce que je me suis dit…
- Dr No : Bah, si vous arrivez à tenir le coup les premiers jours dans cette maison de fou, ça devrait passer. Vous pourrez peut-être même trouver le poste intéressant.
- Ellana : vous me faites peur. C’est si terrible ici ?
- Dr No : Entre les patients un peu spéciaux et les lubies des responsables, ça peut déstabiliser les plus endurcis. Mais on s’y fait à terme.
- Ellana : Le boss est si spécial que ça ?
- Dr No (un petit sourire aux lèvres) : Hum, disons qu’il peut avoir ses humeurs.
- Ellana : et le reste de l’équipe ?
- Dr No : d’excellents professionnels aux caractères surprenants, mais attachants.
- Ellana : ça ne m’aclaire pas beaucoup !
- Dr No : il faut les découvrir par vous-même.
L’homme s’installa devant l’un des ordinateurs, joua deux minutes du clavier et de la souris avant de sortir une liasse de documents de l’imprimante et de la tendre à Ellana.
- Dr No : Tenez docteur Adoryvi, signez et paraphez ces documents qui feront de vous après signature du, comment avez-vous dit déjà , ah oui, du boss, une membre à part entière de l’équipe.
- Ellana (s’installant pour signer) : merci.
A cet instant un fringant jeune homme en blouse blanche, stéthoscope autour du cou entra.
- Dr No : Ah, Docteur Nox, je vous présente le docteur Adoryvi qui vient joindre ses forces aux notres
- Nox : Enchanté.
- Ellana : Moi de même.
- Dr No : Vous devriez lui faire faire le tour du propriétaire pendant que je finis avec l’administratif.
- Nox : si vous voulez bien me suivre…
Ellana admira discrètement le physique avantageux de son nouveau collègue et se dit que finalement tout espoir n’était pas perdu dans ce service.
- Nox (s’adressant à l’homme en costume de dandy avant de refermer la porte) : Oh, et j’ai cru ressentir quelque chose d’étrange il y a cinq minutes, je voulais vous prévenir…
- Dr No : Moi aussi. Je pense qu’il va falloir nous préparer à une nouvelle visite surprise. Prévenez les autres s’il vous plait, ainsi que nos hôtes.
Édité le 27 May 2019 - 13:51 par Arnaud75