III
La mère d’Arüm, Preservaë Misärd, mourut quelques mois après cet incident. Elle souffrait depuis des années d’une grave maladie, incurable. Elle fut incinérée par les habitants du village, durant une cérémonie de plusieurs heures, puis ses cendres furent jetées à l’eau. Arüm, se retrouvant seul, fut recueilli par le vieux Erasmör, qui le prit sous son aile. De nombreuses années passèrent. Le chef du petit village initia son protégé à la magie, mais il prit soin de ne pas faire révéler ses pouvoirs au jeune ; ainsi il lui enseigna les soins, pour le préparer à devenir prêtre. C’était une longue formation, plus longue que pour la magie de combat, mais aussi plus sûre, car le métier de soigneur magique ne provoquait pas ou peu de dommages collatéraux si l’on savait s’en servir. Ainsi Arüm apprit. Son don caché le fit progresser à une vitesse assez impressionnante. Ce n’était pas un enseignement séparé en cycles d’une année, comme dans les universités, car tout s’apprenait à la suite.
En tout, dix années passèrent. Agé de 18 ans, Arüm, devenu prêtre et soigneur du village, officiait depuis l'ancienne maison parentale qui lui appartenait désormais pleinement. Il s'était servi des crédits amassés pour la rénover, l'aménager et la dépoussiérer. Elle n'avait plus rien à envier à la maison de paysans qu'elle avait anciennement été. Désormais, ses cheveux étaient soigneusement coupés et coiffés, avec une raie sur le côté droit, et trois mèches retombant sur son front.
Tout était calme ce jour-là, et tout allait pour le mieux. Après tout, qu'est-ce qui aurait pu le préparer pour ce qui allait suivre? Mais force était de constater qu'Arüm maniait la magie des prêtres avec une efficacité redoutable, et que ça popularité grandissait vite. Elle gagna en effet toute l'île, pourtant large de plusieurs dizaines d'une centaine de kilomètres sur une cinquantaine. Bientôt, d'autres soigneurs issus de Keos et d'Örn, vinrent s'entretenir avec lui. Erasmör était content de l'avoir si bien éduqué. "Ta mère serait fière de toi", lui répétait-il à chacune de ses visites. Le chef commençait à se faire vieux. Il approchait de son centenaire et se déplaçait difficilement à pieds. Il était désormais très fréquemment accompagné d'un villageois qui lui soutenait le bras. Mais bien qu'étant désormais un vieillard, il ne semblait pas prêt à rendre l'âme.
Il fallut un jour pour que ce train de vie bascule. En un jour, tout vola en éclat, tout repartit à zéro. Au matin, sur les rivages, un Glisseur attérit. En sortit une trentaine d'hommes et de femmes et uniformes blancs sans le moindre plis, portant des bottes en caoutchouc. Leurs pupilles étaient grises. Des néogiciens. Des Olydriens ayant subis une injection de sérum ayant convertit leurs cellules captatrices de mana en cellules physiques. Ils perdaient ainsi leur capacité à pratiquer la magie, échangeant cette dernière contre des capacités physique surdéveloppées, ainsi que des armes de haute technologie.
Ce groupe avait marché pendant plusieurs heures et était entré à midi pile dans le village d'Arüm. Erasmör vint les accueillir comme il se devait, avec toute l'hospitalité dont il était capable. Les autres villageois lançaient des regards mauvais. En dehors de Centralis, on n'aimait guère les néogiciens, sauf dans les tavernes et les banques.
-Bienvenue dans notre paisible village, néogiciens! Désirez-vous quelque réconfort, de la nourriture ou des boissons, peut-être?
La personne commandant le régiment était un homme, blanc, blond aux yeux bleus, au visage carrés et à la face légèrement ridées. Son regard était sérieux et autoritaire. Il ne semblait pas avoir été conçu pour sourire.
-Je vous remercie de votre hospitalité, mais nous sommes pressés. En route, vous autres! cria-t-il à ses soldats. Nous devons nous rendre au sommet de cette colline.
Il pointa du doigt l'endroit où se trouvait la maison d'Arüm. Le groupe se remit en marche, au moment où un affreux doute envahissait le chef du village. Quelques minutes plus tard, en sortant de chez lui, le prêtre du village eut la surprise de voir une cinquantaine de néogiciens devant son palier. Un nombre de visiteurs un peu trop conséquent pour être normal.
-Que... Que puis-je pour vous? bredouilla-t-il.
Le commandant s'avança et adressa un salut militaire à Arüm avant de déclarer:
-Mes hommages, Arüm le prêtre. Je suis heureux de vous rencontrer enfin. Je vais vous demander de nous suivre.
La réputation du soigneur avait-elle rejoint Centralis?
-En... quel honneur? demanda-t-il.
-Peut-être ne le savez-vous pas, mais votre magie est extrêmement puissante. Personnellement j'ai du mal à y croire, mais nos dirigeants vous considèrent comme le Catalyseur. En effet, il y a 10 ans et 5 mois, vous avez émis une concentration très importante d'énergie magique, et cela n'a pas échappé à nos capteurs. Nous avons reçu de Keynn Lucans lui-même la mission de vous escorter jusqu'à notre capitale. Il vous recevra en personne et pourra vous expliquer ce que nous ne pouvons pas dévoiler en ces terres inhospitalières.
Une concentration d'énergie de magique? Arüm n'en agait pourtant aucun souvenir. Ces soldats se trompaient-ils de personne? Compte tenu de la puissance de la Technologie, c'était peu probable. Devait-il les suivre? Là était la question. Que lui arriverait-il s'il acceptait? Serait-il traité comme un élu, ou comme un cobaye? Et s'il refusait? Deviendrait-il un ennemi? Un criminel?
Toutes ses questions se bousculaient dans sa tête lorsqu'une impressionante détonation se fit entendre. Autour des négociens se téléporèrent tout à tour d'autres individus, des mages, des assassins, des guerriers. Tous avaient un phénix rouge, emblême de la Coalition, brodé sur la poitrine.
-Donnez-nous l'enfant! clama l'un d'eux.
L'affrontement était inévitable. Les partisans de l'Empire dégainèrent leurs armes et foncèrent sur leurs ennemis, mais ils furent arrêtés par des boucliers générés par des paladins de la Coalition. Des salves magiques fusèrent dans tous les sens. Des balles tirées par les armes à distance traversèrent des corps. Arüm profita de la panique pour s'enfuir et dévala la colline jusqu'au village. Il trouva là Erasmör, qui fut heureux de le voir seul.
-Que se passe-t-il là haut? demanda-t-il.
-L'Empire et la Coalition. Un... affrontement. Je crois qu'ils sont venus pour moi. Ils ont parlé d'un catalyseur; savez-vous ce que ça peut être?
-N... Non, mentit le chef du village. Mais il est indéniable qu'il viennent pour toi, mon apprenti. Suis-moi.
Les deux hommes traversèrent le village au pas de course. Ils s'arrêtèrent devant un petit bâtiment, une maison fabriquée avec du bois et de la pierre et rafistolée avec de la tôle. Il rentra dedans et ressortit avec un parchemin.
-Prends ceci.
Arüm le lit et devina qu'il permettait d'utiliser un sort de téléportation .
-Utilise ça. Tu vas arriver sur Keos, dans un petit hameau du sud de Centralis. Tu demanderas Fratresinarmis, et tu lui diras qui tu es. Il s'agit de mon frère. Il pourra t'aider. Dépêche-toi, avant que ce qui reste de la bataille ne te retrouve.
-B... Bien, balbutia Arüm. Merci, Erasmör. Maître. Je reviendrai.
Puis il tendit les bras et cria:
-Massotelepür!
Il disparut alors, alors même que les survivants des deux camps se ruaient vers le village.