Après quoi, ils se mirent en route vers le donjon d’Alectors. En chemin, j’en demandai plus sur le dénommé Tenshirock. Beaucoup de joueurs en avaient parlé ces derniers jours : cet homme réussi à lui seul à terroriser un bon nombre d’aventuriers. Il semblerait que son but soit de faire fuir les joueurs, ou de les dégouter. Mais s’il réussi, je me retrouverais seul, dans un monde peuplé uniquement de programmes tournant en boucle. La déprime totale. Cet homme est définitivement mon ennemi ! Si je le rencontre, je… je me planquerais probablement, parce que s’il triche, ses caractéristiques doivent être gonflées et il me massacrera très probablement. Mais c’est vraiment injuste ! Il ne se rend pas compte de ce qu’il nous fait subir, à nous.
Mais bon, aucun des membres de mon petit groupe ne l’a jamais vu. Ils savent juste qu’il faut se méfier de lui, et qu’il a tendance, quand on le contrarie, à vous faire danser… Un des hommes de l’Empire, Oméga Zell est connu pour s’être retrouvé à danser en sous-vêtement devant tout le monde pendant deux heures. Gaéa, la demoiselle que j’ai rencontrée à mes débuts dans la vie, a mis toute la scène sur un « site ». Je comprends mieux maintenant sa réaction. Elle, si je la retrouve, par contre, elle va me le payer. Le ridicule ne tue pas, mais faire du profit dessus, hummmmmmm, c’est indigne du genre humain ! Les autres ont été très gentils avec moi, m’expliquant tout ce que je voulais. Et elle, elle a essayé de me vendre ! Quelle… Rhaaa ! Reprenons notre calme, et la suite de mon histoire.
Arrivée au donjon. En fait, en guise de château, c‘est une sorte de labyrinthe fait de branches et de buissons. Malbrouk m’explique :
- Bon, c’est simple : ici, y a une seule entrée, et quatre sorties. En fonction de ce que tu cherches comme matos, il faut se diriger vers une des quatre possibles : les sorts, les bourrins, les fufu, et ceux qui cherchent du matos pour les familiers. Toi, tu veux t’orienter vers quoi ?
- Ben, les sorts, ce n’est pas vraiment mon truc, en fait. Pour le moment, je préfère me concentrer sur le combat, armé ou non.
- Donc, fufu ou bourrin. Vu ta morphologie, et tes capacités actuelles, tu devrais pouvoir te dépatouiller en assassin. Le boss du niveau, c’est un minotaure (on s’en doutait, hein)…
- Pourquoi ? C’est logique, un minotaure dans un labyrinthe ? C’est quoi, d’ailleurs, un minotaure ?
- Ah, ouais, c’est vrai. T’y connais vraiment rien. Bon, laisse tomber, c’est une histoire de mythologie grecque. C’est une bestiole qui fait ses bons deux trois mètres, avec des jambes d’humain, et le haut d’un taureau. Celui-là, il a une grosse masse, et il tape fort. C’est Kalmona qui a gardé la map, donc on la suit. Sauf qu’en cas de bataille, elle restera en arrière. OK ?
- OK, on y va !
Droite, gauche. Gauche, milieu. Si jamais je perds le groupe, on ne me retrouvera jamais, ici ! Gauche, groupe de petites créatures vertes. Un homme vêtu de lambeau de peau assez mal cousue se planque derrière elles, et les lance à l’attaque à l’aide d’un fouet. Azaël chuchote « Vous aggro les gob’, je backstabb le maître-chasseur ». Malbrouk dégaine sa grosse épée à deux mains, et m’enjoint de me décaler, avant de commencer à lancer de grands coups de tranchant qui décapitent sans discrimination gobelins, arbres, buissons, lapins… J’ai juste à passer derrière pour finir les maigres survivants. Je relève la tête juste à temps pour voir Azaël réapparaître derrière le maître-chasseur et lui planter son épée courte noire dans le dos. L’homme s’effondre. Kalmona n’aura pas à gaspiller ses points de magie. Elle s’approche et nous indique :
- Malbrouk, tu devrais laisser Hylidrin fragger des bestioles. Il gagne pas d’XP, mais au moins, il peaufine ses technique de combat. Au pire, il les entame, et tu les finis.
- Mais si, j’en gagne, de l’XP. Je ne sais pas où ça va, mais j’en gagne entre autre à chaque fois que j’ai visité un nouvel endroit. Et le sanglier, il m’a rapporté pas mal !
- Mais tu disais que tu ne gagnais pas de niveau ? Les XP, ça ne te sert à rien…
- Oui, ça, ce n’est pas faux. Malbrouk, ça te va, comme ça ? Eh, Azaël, comment tu fais, pour devenir invisible ?
- C’est une carac qu’on obtient au niveau 13. Mais ça ne fonctionne que tant que je n’attaque pas, donc c’est un genre d’hypnose, je suppose. Allez, on continue, moi dans pas longtemps, va falloir que je me couche, je bosse, figurez-vous !
- On met la vitesse supérieure, et on se la torche, cette instance ! » réplique Malbrouk.
Eh ben ! Quand ils parlent de vitesse supérieure, c’est vraiment vitesse supérieure ! C’est au pas de course qu’on continue l’aventure, et les intersections défilent : Droite, droite, gauche, milieu, gauche, milieu, aaaargh, j’ai plus le temps de noter. Les combats aussi, ils sont torchés ! Le niveau est assez bas, en général, et même avec l’épée rouillée que j’ai retrouvée à ma grande tristesse, j’arrive à gérer la difficulté. J’en profite même pour apprendre quelques nouvelles passes auprès d’Azaël. Son épée est enchantée, à chaque fois qu’il frappe quelqu’un avec, il lui aspire quelques précieux points de vie. C’est à la fin de ce donjon, qu’il l’a reçue. Mais bon, comme les gains sont aléatoires… J’espère juste que je vais récupérer au moins une arme digne de ce nom… Et un tabard, ou un haut, parce qu’entre le combat, le sanglier, le mois passé à faire autre chose que me tenir sans rien faire, ma tunique ne ressemble plus à rien.
Ah, mince, je ne suis plus du tout où on en est. Et je viens de m’écraser contre la côte de maille de Malbrouk, qui s’est un peu trop soudainement arrêté.
- On y est. Derrière ces broussailles, il y a le big boss. Il est accompagné normalement de deux sangliers, plus petits que celui que tu t’es fritté. Bon, donc Kalmona, tu lances tes sorts maintenant, qu’on soit à donf’. Je fonce sur le boss, toi et Azaël, vous vous charger des sangliers, et quand vous avez fini, vous passez dans son dos. Ok, Prêts ?
- Ok
- Ok
On est parti !
On fonce donc dans les branches, ça fouette le visage, mais c’est marrant ! Et puis ce combat-là va être nettement plus palpitant que les gobelins…
Un flou noir m’entoure, et j’essaye de rattraper mes compagnons, de les attraper par le bras, pour ne pas me faire entraîner, je hurle leur nom, en panique ! Ils ne m’entendent pas, et le flou devient trop présent.
Je pensais au départ que c’était juste un sort de ténèbres qui nous a été lancé, mais quand la lumière revient… Je suis seul, de retour sur les bords du lac. Mes compagnons ont dû rester là-bas, prêt à combattre une grosse bête, et je suis à côté de ce stupide saule pleureur ! Je reconnais chaque arbre, chaque vaguelette qui vient faire frémir le rivage, chaque caillou… j’en pleure.
Est-ce parce que je suis allé trop loin ? Malgré mon apparente liberté, est-ce qu’il n’y a qu’un rayon limité de champ d’action ? Où est-ce que les MJs ont finalement décidé de s’occuper de mon cas ? J’essaye de repartir, mais au bout de quelques mètres, je suis bloqué par une barrière invisible. Après quelques instants, j’en ai fait le tour. Je suis coincé dans une cage de verre de 7 pas sur 5. Oui, c’est mesquin jusque-là, je ne peux même pas aller dans l’eau. Sans explications, sans personne pour venir me prévenir. Et le pire, c’est que j’ai gardé mon éveil. Je suis condamné à rester dans une boite transparente, à me rendre compte à quel point la vie dehors peut-être merveilleuse, et savoir que je ne peux pas en profiter.
- Bande de monstres ! Sadiques ! » Le poing brandi au ciel, je lance toutes les insultes que j’ai appris ces dernières semaines. J’en aurai mal à la gorge, si j’avais quelques sensations… là, en fait, j’ai envie de pleurer… Je me demande si les programmateurs ont prévu des larmes, pour les PNJs…
Un joueur s’approche, et je baisse le bras. Il a l’air étonné, et je me demande depuis combien de temps il est là, et ce qu’il a entendu.
- Euh, bonjour, c’est ici, la quête de l’Orbe ? » Ah, oui, tiens, l’Orbe… Je regarde dans ma sacoche, et la boula facette a bien entendu disparu. Je serais bien tenté de lui dire que mon boulet ne me sert à rien, et d’aller se faire voir, mais bon, tant qu’a faire d’être coincé ici, autant être poli.
- Oui, voyageur, il a –encore- disparu. Veux-tu bien me le retrouver ?
- Et qu’aurais-je à y gagner ? » Tiens, il se la joue roleplay ?
- Eh bien, j’ai ce petit pendentif que nous fabriquons, ma femme et moi dans notre chaumière… Et tu recevras, bien entendu, de l’expérience.
- Quête acceptée. » Mouais, pas jusqu’au bout, en fait. Je me demande bien où je vais lui trouver de l’expérience, je ne me rappelle plus comment je faisais pour en avoir et pour en donner. A priori, les hommes qui ont créé le jeu ont tout prévu, faisons leur confiance… Je fais une grimace au souvenir de ces derniers jours passés, et de ma prison en parallèle. Ah, ben l’autre zouave revient déjà… avec mon artéfact. S’il y avait plusieurs voyageurs, on pourrait jouer à la balle avec…
- Je te remercie, voyageur. Tiens, voici ton pendentif ! » Un bruit d’encaissement retentit, et je vois au dessus de sa tête que Mjolnir, comme il se nomme, vient de gagner un niveau. Il faut croire que l’XP est venu tout seul. Bien. Même pas d’au revoir, c’est ça ! Casse-toi, de toute façon, je veux pas te parler ! Laisse-moi seul avec ma misère !
Tiens, le soir tombe. Et si je ne peux plus bouger, on fait comment, Messieurs les tortionnaires ?
Ils ont la réponse à tout, ces saligauds… Un flou noir, et hop ! On est le matin !!
A passer ma journée à répondre aux voyageurs, leur faire la quête, youpii, j’ai mon orbe, hop, elle a disparu, je me rends compte à quel point mes jours étaient mornes. Même Sparadrap ne peut plus rien pour moi. Ce n’est pas que je ne veux pas partir, c’est que je ne peux pas.