Le 18 Avril 2021
Est-il possible de faire d’une idée innocente, d’une vague pensée créative, d’un acte d’association opportun, d’une inspiration induite par une histoire prenante, la source d’un tourment ?
Ce ne devait être qu’un divertissement. Un moyen de loisir réunissant autour de moi les âmes qui m’importaient dans la réalisation d’un projet. L’aventure a été merveilleuse durant des années, et l’univers que j’ai créé s’est développé au-delà de toutes les espérances, m’assurant aujourd’hui la chaleur d’un foyer.
Personne ne voulait de nos frasques amateurs lors de nos primes années de jeunesse au crépuscule de l’adolescence, mais ça n’avait pas d’importance. L’idée était là. Elle avait germé telle une jeune pousse fragile dans l’obscure forêt de la vérité du réel. Mais toute mon énergie et mon attention y étaient consacrées, et je l’ai entretenu. Elle a survécu par ma volonté au lieu de sombrer dans l’oubli comme le sont destinés les premiers amours. Le travail et le temps m’ont permis d’étendre le concept au-delà de mes espoirs les plus fous.
Aujourd’hui, les récits originels issus de mon esprit sont devenus de vastes univers dont je semble perdre peu à peu le contrôle. Et je ne parle pas de notions juridiques concernant des droits quelconques, ou de l’appropriation de ceux-ci par le public qui suit avec avidité les aventures de ses héros. Non. Ils semblent échapper peu à peu à mon contrôle.
Nous sommes au beau milieu de la nuit, et je ne trouve pas le sommeil. J’ai peur de fermer les yeux. Je suis terrorisé par ces cauchemars qui m’assaillent depuis un certains temps. Les personnages que j’ai créé viennent me voir, et me parlent.
Autrefois, lorsque je rêvais d’eux, il ne m’en restait au réveil qu’un vague souvenir, un sentiment d’irréel éphémère qui s’estompait avant de sombrer définitivement dans les méandres de l’oubli.
Je ne peux plus en dire autant aujourd’hui. Les images que j’y vois se gravent dans ma mémoire, aussi indélébiles que les hiéroglyphes dans la pierre. Le parfum des fleures de la Plaine de Centralis comme les effluves nauséabonds des cadavres pourrissants sur les champs de bataille persistent. Les éléments que je touche impriment leurs empreintes sur ma peau et dans ma chaire. Les cris de guerre de la Coalition, le martellement de pas des fantassins, les explosions engendrés par de puissantes incantations magiques résonnent perpétuellement dans ma tête. Les gens me font une conversation dont je garde chacune des bribes.
Les rêves sont volatiles. Mais ce que je vie chaque nuit depuis plusieurs jours est un souvenir palpable, d’une précision telle que j’en arrive à me demander si tout cela ne s’est déroulé que dans mon esprit ou si je l’ai bel et bien vécu.
Mais ce qu’il y a de plus épouvantable est mon impuissance lors de ces incursions. Je me sens comme violé dans mon intimité, conduit de force dans cet endroit, et condamné à subir les affres du monde que j’ai créé. Ce n’est pas normal.
Je suis Le Créateur. Je régis l’univers d’Olydri. Il devrait se soumettre à ma volonté, et non l’inverse. Je suis Dieu dans ce monde. J’ai droit de gloire et de déchéance sur chacun des personnages.
Alors, pourquoi suis-je si impuissant ? C’est à croire que les êtres peuplant ce monde échappent peu à peu à ma volonté, agissant d’eux-mêmes, libres de leurs actes et de leurs pensées. Pire encore, car les rôles semblent s’être inversés. Ils ne se soumettent plus à moi, et m’imposent leur volonté d’indépendance par la terreur qu’ils m’inspirent.
Le silence est pesant. Le ventilateur de mon ordinateur couvre les légers ronflements d’Anne-Laure qui ne se doute pas de ce que je traverse. Notre bébé sommeille paisiblement dans son petit lit, et je prie pour entendre ses pleures dans l’instant afin de rompre mon insupportable solitude, et occuper mon esprit IRL.
Les démons de la nuit m’envahissent. Cette réminiscence animale qui nous fait craindre l’obscurité me provoque des sueurs froides dont les gouttes glaciales perlent sur mon visage et dans mon dos.
Je devrais retourner rejoindre ma bien-aimée dans nos draps chauds, mais je sais que je ne parviendrai pas à dormir. Ou pire, je pourrais vraiment me laisser aller à la raillerie de Morphée qui me déposerait en Olydri.
Il est temps d’occuper mes pensées à d’autres chants. L’invitation faussement cordiale à remplir ma déclaration de revenues est étrangement aguichante, car la claque de cette réalité mise à mon imagination en roue-libre pourra me libérer quelques instants.
Édité le 12 May 2021 - 13:17 par Illirio