Les draps légers laissaient dépasser une épaule musclée et galbée que ma main ne pouvait laisser plus longtemps dépourvue de caresses. La respiration paisible à côté de moi s’interrompit l’espace d’une seconde avant de repartir de plus belle, profonde, légèrement ronronnante.

Je n’en revenais toujours pas et je mesurais ma chance autant que mon bonheur. Il était statistiquement quasi impossible que je puisse partager mes nuits avec une créature aussi superbe. J’avais beau être grande gueule, je n’en avais pas mené large au départ. La beauté insoutenable de la personne allongée à côté de moi et dont je caressais délicatement la peau nue, peau que j’avais goutée lors de nos furieux et torrides ébats quelques heures plus tôt, était un membre phare d’une des meilleures guildes d’Horizon 3.0, le jeu massivement multijoueur qui était depuis plusieurs années déjà ma passion. Et l’avatar incarné par cette personne était craint de tous sur les serveurs, détesté par beaucoup et admiré par d’autres.

Ma difficile ascension dans le jeu, fortement handicapée il est vrai par les bras cassés avec lesquels j’avais difficilement atteint le niveau 100, minimum syndical pour intégrer la prestigieuse Guilde Justice, avait fini par occuper la plus grande part de mon temps libre… Ah, cette Guilde Noob… A bien y repenser je me sentais toujours nostalgique des quelques bon moments que nous avions partagés. Heureusement l’idée de recréer ensembles des rerolls dans une autre faction nous avait permis de nous retrouver en terrain neutre et de décompresser entre nous de la pression du jeu HL.

Je repensais alors à mes tentatives toutes plus maladroites les unes que les autres de passer le barrage de l’entretien d’admission dans la guilde Justice… Heureusement que mon idole absolue était intervenue pour me permettre d’y entrer… Quelle fureur cela avait déclenchée chez mon interlocutrice. Je crois que sa détestation de ma personne à ce moment-là dépassait largement la haine qu’elle vouait à ses adversaires dans le jeu… Impitoyable Saphir…

La silhouette à côté de moi se recala sur son oreiller, et j’en profitais pour embrasser la nuque ainsi dégagée. Une décharge électrique parcouru mon corps à la sensation éprouvée par mes lèvres sur sa peau légèrement halée. Je devinais le sourire qui se dessinait sur sa bouche et me régalais du ronronnement qui caressait mes tympans.

Je me perdais de nouveau dans mes souvenirs.
Où en étais-je,… Ah oui, Saphir, et sa terrible sœur Rubis. Ces femmes avaient décidé de s’occuper sérieusement de mon cas, et sous le prétexte de faire de moi un élément majeur de la force de frappe de la Guilde, elles avaient entrepris de me réformer ! Quelle lutte de chaque instant pour parvenir à atteindre les objectifs qu’elles m’avaient fixés ! J’avais beau répéter toutes les raisons valables sur l’incapacité féminine à jouer correctement à un jeu vidéo, afin de les dégoûter et d’obtenir qu’elles me lâchent les baskets, rien n’y faisait, elles poursuivaient leurs tortures… Je ne pense jamais le leur avouer, mais il est vrai que sans leur acharnement, je n’aurais jamais aussi vite obtenu ma classe légendaire. Que j’avais pu les haïr moi aussi à ces instants…

Heureusement le soutien indéfectible de Fantöm m’avait aidé tout au long de cette épreuve. J’avais été surpris au départ de l’intérêt qu’il me portait, moi le petit qui voulait égaler et dépasser son niveau. Nous nous étions croisé souvent dans le jeu et même partagé de bon moment lors de son passage éphémère dans la Guilde Noob. Je l’avais même vu deux fois IRL, la première pour un reportage (j’étais tétanisé par ma timidité face à la légende qu’il incarnait alors), la seconde lors de son burn-out consécutif à son bannissement injuste pour tenter de le faire revenir…
Ici, dans ce lit, je comprenais mieux : il avait manifestement déjà formé des projets bien arrêtés sur ma petite personne. Avait-il un don de prescience ? En tout cas il avait discrètement mis tous les atouts de son côté pour me faire aboutir sous ces draps…

La pression soudaine d’un fessier ferme contre mon bassin me ramena à l’instant présent, réveillant ma libido et durcissant cette partie de mon anatomie qui avait manifestement été appréciée la veille par la personne dont ledit fessier commençait à onduler doucement.
Ma main quitta les hanches pour explorer d’autres régions de ce corps devenu brûlant, titillant par endroits, malaxant à d’autres… provoquant ces soupirs que j’avais tant appréciés cette nuit…

Ah ! Que d’épreuves pour arriver à ce moment. Je me souvenais de notre retour en tête du classement d’Horizon 3.0 grâce au génie de notre stratège en chef, Heïmdal qui avait su jouer de l’esprit vengeur de nos adversaires de toujours, la Guilde Roxxor, contre l’ennemi du moment, la Guilde Progamemaster.
Cette victoire avait été l’une des dernières étapes du plan de Fantöm pour aboutir à ces baisers passionnés que nous commencions à échanger dans ce lit aux draps défaits, révélant notre nudité…

En effet, nous avions remporté, contre tous les pronostics, le tournoi d’Olydri et obtenu le précieux sésame pour représenter Neuropa Entertainment lors d’une immense convention du jeu vidéo à Pékin… Et Fantöm avait œuvré en sous-main pour parvenir à faire en sorte que seules deux personnes de la guilde se retrouvent le premier jour de la convention pour aider à installer le stand et représenter la Guilde, en Cosplay de nos avatars. Au début l’idée de me retrouver seul avec… bref, j’étais terrorisé une fois de plus et manquais de perdre tous mes moyens. …hum ! Cette personne n’avait pas non plus l’air d’apprécier la situation : c’est que depuis toujours j’avais tendance à cacher mon trouble sous des dehors détestables, notamment envers la gent féminine pour laquelle je ne ressentais aucune attirance. Le partenaire de Guilde qui m’avait été « imposé » par les circonstances ne mit pas longtemps à me mettre devant mes contradictions et à me forcer à faire face à mon malaise.

Incroyable mais vrai, au lieu de déclencher une de mes colères habituelles, ses paroles firent sauter le bouchon qui scellait cette partie de ma personnalité que je n’osais exposer aux autres. Je n’avais jamais eu de conversation aussi intime avec quelqu’un, je crois même qu’à un moment je pleurais… Je reçu aussi ses confessions, ses doutes… un incroyable échange mettant nos âmes à nu !

Et nous ouvrîmes ce jour-là tous deux les yeux… Et je dois dire que le spectacle que je découvrais alors éveilla mes sens au-delà de tout ce que j’avais ressenti alors : ce corps endurci par les efforts et les épreuves de la vie, ceinturé dans le cuir de son costume mettant particulièrement en valeur ses épaules carrées, son buste, ses fesses,…

Mais l’astuce de Fantöm ne s’arrêtait pas là : en effet, lorsqu’il fallut en fin de journée rejoindre notre hôtel, je découvrais que seule une chambre, avec deux lits, soit, avait été retenue pour nous… J’échangeais un regard intrigué avec… hum… j’ai encore du mal à dire son prénom sans me pâmer de bonheur…

Bref, après quelques hésitations nous choisîmes de faire contre mauvaise fortune bon cœur, nous disant que nous pourrions ainsi continuer à nous parler l’un l’autre de nos doutes, de nos passions, de nos désirs les plus secrets… Une telle complicité était née entre nous !

Et c’est ainsi que petit à petit nous nous étions apprivoisés, avions rapproché nos visages pour échanger en chuchotant nos sentiments, que nos lèvres s’étaient soudées les unes aux autres, qu’à un moment nos vêtements avaient rejoints le sol et que nous atterrissions sur celui de nos lits qui avait le mérite d’être double…

Nos caresses, nos baisers…

Et voilà que nous remettions ça, faisant fi de tout ce qui avait pu se mettre entre nous jusque-là…

Sa voix encore rauque d’avoir crié sa jouissance, alors que je commençais à peine à me remettre de l’apothéose qui avait transpercé mon corps attira mon attention…

- « Morgan ? Est-ce bien réel ? J’ai tellement besoin… »

- « Oui Eléna, moi aussi ! »