Bordel.
Si ça se trouve je suis la seule gonzesse encore en vie dans cette ville. Quel merdier. Puis y'a même plus de piles dans mon mp3. Mon téléphone fonctionne encore, on aura peut-être de l'électricité deux, trois jours à tout casser. Et après quoi ?
Enfin, avec ou sans téléphone.. Encore faudrait-il que je puisse encore appeler quelqu'un. J'ai besoin de parler avec quelqu'un. Bien un truc de nana, ça.
Et ça pue, bordel, ça pue. Ca sent la chair qui se putréfie et le cadavre qui se décompose et je crois que je vais gerber, mais si je m'arrête, si j'arrête de pédaler, même si c'est juste le temps de vomir mes tripes, je ne repartirai pas. Je n'ai pas peur.
Je me répète en boucle : Je n'ai pas peur. Il faut bien réussir à s'en convaincre. La peur c'est un truc de faibles. Les zombies ça a bercé mon enfance, aucune raison d'avoir peur.
Saloperies de corbeaux. Quoi, c'est pas assez glauque ici ou quoi ?
Les corbeaux... Ils sont devenus les rois de la ville... Perdus dans cet immense garde manger fumant encore. Ils crient, symphonie macabre, requiem de la civilisation humaine. Certains dansent, battant des ailes, accompagnant cette funeste mélodie D'autres, de leurs yeux vitreux, attendent patiemment que leur prochain repas s'endorme. Ou encore ceux-ci, qui...
"PUTAIN, LEO !"
Une voix humaine. Un homme. Sur ma gauche. Y'a quelque chose, y'a quelqu'un, je ne suis pas la seule personne paumée dans cette ville. J'ai besoin d'aide. J'ai besoin d'un refuge. Faut que j'aille les voir, j'ai pas le choix. Je n'ai pas confiance. Je n'accorde pas ma confiance aussi facilement. Mais bon, j'imagine que j'ai pas le choix de toute façon.
Je m'approche. Discrètement. Silencieusement. Je tiens entre mes doigts tremblants une machette solide, aiguisée. Y'a de la qualité dans ma main. Du bon machin pour bousiller des zombies. Mais l'homme que j'ai entendu hurler, je l'ai entendu faire claquer son pistolet, aussi. J'approche encore.
L'avantage de l'épidémie, c'est que j'ai pu piller un magasin sans problème. J'ai un grand sac piqué au surplus militaire à dix kilomètres de chez moi. Mon vélo, c'est mon seul allié, pour l'instant. Dans mon sac ? Un sac de couchage, une veste kaki - il fait chaud, je ne porte qu'un sous-pull, de l'armée aussi - une hache, un couteau de survie, des rations. Des sous-vêtements de rechange, une gourde. Une boîte de tampons, on sait jamais, si je survis encore trois semaines ça va m'être utile. J'ai pas pris d'arme à feu, je sais pas m'en servir. Et ça fait du bruit. Surtout, rester discrète.
Je pose le vélo dans les branchages. Silence, silence, silence. Pas de zombies à l'horizon. Faut pas faire la con. Si je suis trop discrète, il va me canarder. Si je ne le suis pas assez, je ne pourrai pas le voir. Il faut trouver le compromis parfait. Je garde ma machette à la main, mon sac sur le dos.
-BORDEL, LEO! COMBIEN DE FOIS JE VAIS DEVOIR TE DIRE DE PAS USER LES MUNITIONS DE TON SILENCIEUX SUR LES ZOMBIES?!
-Oooooh, c'est bon, ils....
Ah. Une deuxième voix. Ils sont donc deux.
-JE M'EN CONTRE FOUS!!... Léo... On a des familles ravagées et affamées, en bas. Des enfants qui cherchent désespérément leurs parents dans tout ce merdier!! On a besoin d'un VRAI garde, d'un VRAI super-héros!!! Maintenant t’arrêtes tes conneries et tu retournes à TON FOUTU POSTE!!
Ouah. Il a l'air vraiment énervé, le boss. Il tire dans la radio pour la faire taire. C'est dommage, c'est pourtant cool, Bob Marley. Tu me diras, faut peut-être pas être cool dans une ambiance comme celle-ci.
-C'EST CLAIR?!!!
Ohlà, c'est bon, il s'en va. Maintenant, me voilà assez près pour discerner les deux silhouettes. Enfin, plus qu'une.
-Putain, le relou !
Entièrement d'accord, mec. J'hésiterais presque à vous rejoindre, tu vois. D'un autre côté on a parlé de familles et de super-héros et de poste de garde et ça, ça pourrait être vachement utile, là tout de suite.
Par contre ça parle aussi d'affamés et j'ai trois jours de bouffe que j'ai absolument pas envie de partager là-dedans.
Ouais mais bon, je peux être utile. Très, très utile. Au début je rageais. J'étais toute contente d'apprendre que j'étais une super-héroïne et paf, j'ai un pouvoir absolument pas spectaculaire. Franchement. J'peux pas juste être une bourrine ? Non, non, faut que je soigne les gens. La lose. Soigner, quoi. Super utile. J'me fais défoncer pareil dans un combat.
Enfin, non, je peux me soigner moi-même, certes... mais la lose quand même.
Allez. J'en ai marre d'être toute seule, j'ai des courbatures dans les jambes. J'suis musclée, certes, mais j'suis pas non plus une marathonienne et dans les trois derniers jours, j'ai bien dû aligner deux cent kilomètres à force de repérages dans les montagnes qui entourent Ether City. Bordel, j'ai mal partout. C'était pas mal de fonctionner à l'adrénaline. Bah, je me soignerai correctement s'il me laisse vivre.
Je ramène mes longs cheveux bruns en queue de cheval. Plus pratique que de les laisser détachés pour démonter du cadavre. Je plisse mes yeux bleus. Bordel d'yeux clairs, trop sensibles à la lumière. Je savais bien que j'oubliais quelque chose en partant de ma maison ravagée. À dix-sept ans, on ne pense pas à tout, non plus. Surtout quand on vient de décapiter ses parents à coups de machette. Des lunettes de soleil.
Il faut que je pense à autre chose. Pas mes parents. Pas mes parents.
-Hé ! dis-je, pas trop fort -manquerait plus que d'attirer les charognes- mais assez pour que le garde -Léo ?- m'entende.
Je compte les corbeaux. Y'en a toujours assez pour se concentrer dessus. Il va répondre. En attendant, je compte les corbeaux. Je ne pense pas à mes parents.
Un.
Deux.
Trois.
Édité le 07 April 2013 - 10:52 par Lexi